Dans la longue et troublée relation entre l'Occident et la Russie, l'une des rares satisfactions de l'empire américain ces quinze dernières aura été de réussir à (partiellement) diviser le Vieux continent du Heartland eurasien.
L'acmé, mais aussi son chant du cygne, était atteint sous la triplette Obama-Cameron-Flamby, dame Merkel suivant docilement le mouvement irénique. Depuis, Brexit et Trump sont passés par là, jetant le camp du Bien dans la confusion la plus totale. A une situation bien définie entre deux blocs a succédé une mêlée désordonnée faite de retournements, de séparations ou de rapprochements relatifs.
Orphelins du maître US, les euronouilles continuent néanmoins sur la lancée des sanctions contre Moscou, renouvelables tous les six mois. Réciproque russe ; Poutine a signé un décret prolongeant les contre-sanctions jusqu'au 31 décembre 2018 (pas de mollesse chez l'ours, dix-huit mois d'un coup !) Quand on sait à quel point ces mesures de rétorsion font mal aux économies européennes, on comprend mieux pourquoi la presstituée reste totalement muette sur le sujet...
Et pourtant, tout cela n'empêche pas les relations bilatérales de se réchauffer de manière assez conséquente. Nous avons déjà vu que le jupiterinho de l'Elysée surprenait son monde en plaidant un rapprochement certain avec la Russie. L'une des raisons que nous évoquions était la suivante :
Autre motif de dégel : les Russes, dont l'alliance notamment énergétique avec Téhéran, n'est plus à démontrer, sont susceptibles d'ouvrir les portes de l'Iran à Total, plus précisément de faciliter l'interminable finalisation de l'accord portant sur une parcelle du gisement gazier géant South Pars. Ce dernier, l'un des plus grands champs d'or bleu de la planète, est à cheval sur les eaux territoriales du Qatar et de l'Iran.
Bingo, l'accord a été signé aujourd'hui même :
Le groupe français Total, à la tête d'un consortium international avec le chinois CNPCI, a signé lundi un accord gazier de 4,8 milliards de dollars avec Téhéran, malgré les pressions de Washington qui envisage de nouvelles sanctions contre l'Iran.
En vertu de ce contrat d'une durée de 20 ans, le consortium investira deux milliards de dollars (1,76 milliard d'euros) dès la première étape du développement de la phase 11 du vaste champ gazier offshore Pars-Sud.
Total devient ainsi la première grande compagnie occidentale du secteur des hydrocarbures à revenir en Iran depuis la levée partielle des sanctions internationales en janvier 2016, en vertu de l'accord nucléaire signé en 2015 avec les grandes puissances, dont la France et les États-Unis.
"Aujourd'hui est un jour historique pour Total, le jour où nous revenons en Iran", a déclaré le PDG du groupe Patrick Pouyanné lors de la signature de l'accord à Téhéran. "J’espère que cet accord entre une grande société européenne, française, et l’Iran va donner des idées à d’autres sociétés de venir en Iran parce que le développement économique c’est la façon aussi d'apporter la paix", a déclaré à l'AFP M. Pouyanné. "Nous sommes là pour construire des ponts et pas pour faire des murs, nous nous développons en Iran au Qatar, aux Émirats, partout où nous pouvons le faire", a-t-il ajouté.
"Nous n'oublierons jamais que Total a été le précurseur", a pour sa part lancé le ministre iranien du Pétrole, Bijan Namadar Zanganeh. Selon lui, l'industrie des hydrocarbures iranienne a besoin de 200 milliards de dollars (176 milliards d'euros) d'investissement sur les cinq prochaines années.
L'Iran dispose des deuxièmes réserves mondiales de gaz, après la Russie, et des quatrièmes réserves mondiales de pétrole, mais les compagnies étrangères restent globalement réticentes à investir dans ce pays en raison de sanctions américaines toujours en vigueur.
- Europe contre États-Unis -
En vertu de l'accord conclu avec Total, le groupe français détiendra 50,1% des parts du consortium qui exploitera le champ gazier, suivi du groupe China National Petroleum Corporation (CNPCI) avec 30% et de l'Iranien Petropars (19,9%).
La signature de l'accord avec Total intervient quelques jours après une tournée du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, en Europe. M. Zarif avait été reçu vendredi par le chef de l’État français Emmanuel Macron après avoir rencontré le président allemand Frank-Walter Steinmeier et le Premier ministre italien Paolo Gentiloni.
Téhéran cherche à renforcer les relations avec l'Union européenne, face à une administration américaine hostile. "Malgré l'hostilité déraisonnable des États-Unis, l'UE reste engagée à l'égard de l'accord nucléaire et de l'entente constructive" avec l'Iran, avait écrit M. Zarif dans un tweet.
L'histoire ne dit pas si les Russes ont facilité la transaction, mais quand on connaît les excellentes relations entre Moscou et Total d'une part, Moscou et Téhéran de l'autre, il est probable que nos prédictions ont tapé une nouvelle fois dans le mille.
Toujours est-il que ce glissement de Macron inquiète la journaloperie néo-conservatrice française. Après le Nouvel Oups, c'est au tour de Libernation de pousser les hauts cris et de se prendre la tête à deux mains. "Si vous soutenez Assad, vous soutenez le terrorisme". Ah ok...
Gaz un jour, gaz toujours. Nous avions vu il y a déjà longtemps que frau Milka pouvait atteindre des niveaux d'hypocrisie fort conséquents lorsque ses intérêts sont en jeu :
Dame Angela aura d'abord tout fait pour crier au grand méchant ours russe. Russophobie réelle, chantage à l'or allemand entreposé à la FED américaine et dont on ne sait plus trop s'il existe encore, chantage de la NSA sur la jeunesse peu reluisante de la possible informatrice de la Stasi, ou tout cela à la fois ? Mémère a en tout cas tout fait pour torpiller le South Stream devant fournir le gaz russe aux Balkans.
Jamais à court de ressources et sachant parfaitement jauger le poids de chaque acteur européen, Moscou a fait contre mauvaise fortune (abandon des amis balkaniques qui s'étaient eux-mêmes mis dans la panade en entrant dans l'UE) bon coeur et fait à l'Allemagne une proposition que Berlin ne pouvait refuser. Comme nous l'écrivions en septembre :
"Moscou assure ses arrières en doublant le Nord Stream. Grande intelligence de Poutine qui parie sur l'égoïsme allemand ; la mère Merkel est toute pleine de paroles grandiloquentes sauf quand l'économie de son pays est en jeu. Avec le doublement du tube baltique, l'Allemagne deviendra le hub gazier d'une grande partie de l'Europe, renforçant encore sa mainmise économique sur le Vieux continent. De quoi faire réfléchir la chancelière..."
C'est maintenant tout réfléchi ; mémère ne minaude plus devant la possibilité de faire de l'Allemagne la plateforme énergétique du Vieux continent.
Suite aux nouvelles sanctions votées par le Sénat à la mi-juin et susceptibles - si elles reçoivent l'assentiment de la Chambre puis de la Maison blanche, ce qui est loin d'être le cas - de toucher des entreprises européennes impliquées dans le Nord Stream II, Berlin n'en démord pas et continue sur sa lancée :
«Nous estimons qu'il est inacceptable qu'une loi [américaine] puisse demander aux Européens de renoncer au gaz russe pour nous vendre du [gaz] américain à la place, à un prix bien plus élevé», a lancé le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel le 29 juin, en visite officielle en Russie, rapporte le quotidien allemand Handeslbatt. (...)
En outre, un communiqué commun signé le 15 juin par le chancelier autrichien et le ministre allemand des Affaires étrangères a précisé : « L'approvisionnement énergétique de l'Europe est une question européenne qui ne concerne en rien les Etats-Unis d'Amérique. C'est à nous [les pays européens] et non aux Etats-Unis de décider de qui nous livre notre énergie et de quelle façon. »
C'est nouveau, ça... Les euronouilles ont, sous pression américaine, torpillé le South Stream qui aurait pourtant rapporté des bénéfices considérables, notamment dans les Balkans ; ils ont laissé pendant des années Washington faire la pluie et le beau temps énergétique. Et voilà que soudain, le Vieux continent ouvre un oeil, affirme (dans les mots en tout cas) son refus. Quelle révolution copernicienne : trente ans de vassalité européenne volent en éclats et l'on voit des signes d'un retour aux années 80, quand les Etats défendaient encore leurs prérogatives énergétiques face aux Américains, comme dans l'affaire du gazoduc sibérien.
Que s'est-il donc passé ? La réponse tient en cinq petites lettres : Trump. Ou plus exactement son élection. L'empire n'a plus de direction, plus de centre de commande, les vassaux s'égaillent dans la nature et se retournent contre l'ancien maître. Phénomène classique.
Un autre exemple nous est donné par le Royaume-Uni "brexité". Les gouvernements successifs de Sa Graisseuse Majesté n'ont jamais été atteints de russophilie, c'est le moins que l'on puisse dire. Historiquement, ce sont même les Britanniques qui ont légué aux Etats-Unis leurs conceptions géostratégiques et leur sacro-sainte détestation de la Russie.
Les "amabilités" entre Londres et Moscou n'ont jamais cessé et seront encore monnaie courante pendant longtemps. La dernière en date, amusante, a eu lieu il y a quelques jours à propos du nouveau porte-avion de la Royal Navy. Aux fanfaronnades quelque peu infantiles du ministre de la Défense Fallon, assurant que les Russes étaient "jaloux" du navire, le général Konachenkov a provocativement répondu que le HMS Queen Elizabeth représentait "une cible de grandes dimensions". Ambiance, ambiance...
Et pourtant, derrière les coups de menton et autres déclarations incendiaires, nous assistons là aussi à un discret mais réel rapprochement énergétique. Gazprom négocie actuellement pour augmenter ses livraisons d'or bleu au Royaume-Uni. Depuis 2005, Londres est importateur net de gaz et cette dépendance ne fera qu'augmenter dans les années à venir :
Certes, les quantités évoquées sont pour l'instant relativement mineures (à l'heure actuelle, 13% du gaz consommé dans le pays vient de Russie), mais c'est la tendance qui compte. La Norvège, qui entame ses dernières réserves de gaz, est une solution provisoire derrière laquelle se profile l'ours. Et l'on commence d'ailleurs déjà à parler du Nord Stream II et d'un possible raccord vers les Pays-Bas puis l'Angleterre...
Derrière les rodomontades d'usage, le principe de réalité. Encore et toujours.