L'intégration énergétique toujours plus poussée de l'Eurasie doit donner des sueurs froides à Washington...
Les importations de pétrole russe par l'Inde ont explosé en 2017. Alors que le chiffre habituel, modeste, ne dépassait jamais les 500 000 tonnes annuelles (c'est-à-dire 10 000 barils par jour), les cinq premiers mois de l'année ont déjà atteint le million de tonnes. En cause : les coupures de production de l'OPEP pour faire remonter le cours de l'or noir ainsi qu'une dispute à propos d'un gisement iranien. Les spécialistes ne voient aucune raison pour que la tendance s'inverse dans un proche avenir, d'autant que Rosneft s'apprête à acheter la compagnie indienne Essar Oil, spécialisée dans la raffinerie.
Certes, les fondamentaux géographiques - éloignement, Pamir (P) et Himalaya (H), Pakistan (Pak) - empêcheront durablement la Russie de devenir le principal fournisseur du pays de Krishna, du moins en pétrole (pour le gaz, c'est une autre affaire) :
Aucun problème de cet ordre entre Moscou et Pékin, dont la lune de miel énergétique ne connaît aucun nuage d'autant qu'elle se couple au méga-projet chinois de nouvelles Routes de la Soie.
Russes et Saoudiens se tirent toujours la bourre pour la place de fournisseur n°1 de l'insatiable dragon, avec en filigrane le futur du pétrodollar donc de la puissance américaine. Le voyage pharaonique du Seoud en mars n'a apparemment pas eu l'effet escompté ; pour le deuxième mois d'affilée, l'ours a surpassé le chameau comme premier pourvoyeur d'or noir dans l'empire du Milieu, avec 1 150 000 barils par jour contre 963 000.
Quant à l'oléoduc Skorovodino-Daqing (en vert sur la carte suivante) inauguré en 2011, il a vu passer depuis sa naissance 100 millions de tonnes, soit environ 400 000 barils par jour. Il fait partie de l'énorme complexe ESPO (East Siberia-Pacific Ocean) qui pourrait bientôt redessiner la carte énergétique de l'Asie orientale avec ses tentacules vers les Corées et le Japon, d'autant que la source a de beaux jours devant elle.
Au passage, relevons l'importance stratégique absolument majeure qu'est en train d'acquérir l'Asie du Nord-est, point sur lequel nous reviendrons prochainement.
Enfin, de l'autre côté de l'échiquier eurasiatique, les livraisons de Gazprom à la Turquie ont également bondi de 26% pour atteindre plus de 10 Mds de m3 sur les quatre premiers mois de l'année. Comme ses compères européens qu'il exècre pourtant, le sultan devient chaque jour plus dépendant de l'or bleu russe. Et dire que le Turk Stream, dont la construction vient de débuter, n'est même pas encore en service...