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Reste à savoir qui sera le rieur final... Dans le dernier billet sur la Syrie, notre interrogation ne pouvait être plus appropriée :

Se dirige-t-on vers un choc entre forces spéciales russes et américaines vers Al Tanaf ou, au contraire, une entente secrète sur le dos de tout le monde ? Mystère, mystère...

La coalition US est donc venu apporter son écot au maelstrom ambiant en bombardant hier, dans le sud, une colonne loyaliste en direction d'Al Tanaf. Premier sujet de discorde : la cible. Si tout le monde s'accorde à dire que c'était une milice chiite pro-gouvernementale, les avis divergent ensuite assez sérieusement.

La position de Washington :

Une source au Pentagone, citée par l'AFP, a précisé qu'il s'agissait d'une milice chiite, armée par le gouvernement de Damas mais agissant de manière indépendante. Toujours selon la même source, le convoi n'aurait pas répondu aux avertissements visant à l'empêcher de s'approcher trop près de forces de la coalition à At-Tanf, un camp de rebelles syriens soutenus par les Etats-Unis et leurs alliés. Dans cette région les forces spéciales américaines forment et entraînent des rebelles pour lutter contre Daech.

L'insistance sur la supposée "indépendance" de cette milice, qui plus est prévenue au préalable, semble révéler en creux que Washington ne cherche pas à s'en prendre à l'armée syrienne et le fait savoir.

Mais à Damas, on n'est pas de cet avis. Le groupe en question, Saraya al-Areen, milice alaouite de Lataquié, faisait partie d'un convoi "officiel" en compagnie de l'armée et des Forces de défense nationale. Moscou n'est pas amusée et considère l'attaque comme "inacceptable". Lavrov va plus loin et accuse tacitement les Américains d'aider les djihadistes, ce qui est une évidence depuis longtemps pour le lecteur de ce blog.

La grande question est de savoir si les Russes vont désormais activer les systèmes anti-aérien contre les avions de la coalition. L'on se rappelle que, après l'affaire des Tomahawks le mois dernier, la rupture par Moscou du canal de communication visant à éviter les incidents aériens avait fortement troublé le Pentagone. Bis repetita dans les jours à venir ? Pas sûr, car on verra plus bas que c'est surtout l'Iran qui pousse à cette offensive en direction de la frontière irakienne.

L'autre question est de savoir si Trump est lui-même au courant de ce qui se passe ou si l'Etat profond a voulu lui forcer la main. On se souvient qu'il y a huit mois, des éléments insubordonnés de l'appareil militaire avaient vraisemblablement torpillé l'entente Kerry-Lavrov en bombardant "par erreur" l'armée syrienne à Deir ez-Zoor. Le parallèle avec la récente visite du ministre russe à Washington et l'hystérie qui en a découlé est assez frappant. On voudrait saboter le rapprochement russo-américain qu'on ne s'y prendrait pas autrement...

D'un autre côté, empêcher la jonction chiite à la frontière syro-irakienne a toujours été le grand but des principaux alliés de l'empire - Israël, Saoudie, Turquie, Jordanie même - et le Donald n'a jamais caché sa sympathie pour au moins l'un d'entre eux (le premier cité). Il n'aura également échappé à personne que cette attaque intervient deux jours après la rencontre Trump-Erdogan, même si celui-ci est plus préoccupé par le soutien US aux YPG kurdes.

Quoi qu'il en soit, la course pour le contrôle de la frontière syro-irakienne est le nouveau chapitre important du grand et interminable livre de la guerre syrienne et c'est évidemment dans ce contexte qu'il faut replacer ce bombardement. Et peut-être un autre d'ailleurs, si l'info est confirmée : des avions américains auraient attaqué des Unités de Mobilisation Populaire irakiennes chiites de l'autre côté de la frontière.

Le conditionnel reste de mise car, pour l'instant, un seul média irakien en parle ; de plus, le lieu évoqué ("près d'Al Boukhamal") est difficilement possible, Daech contrôlant la zone. Toutefois, cela collerait parfaitement avec le tableau général : empêcher Bagdad et Damas de reconstituer l'arc terrestre chiite. Coïncidence, cela intervient au moment même où un envoyé irakien discute avec Assad de "coopération dans la lutte anti-terroriste", c'est-à-dire évidemment de la reprise du territoire de l'EI qui sépare encore les deux pays.

Si les Américains persistent à vouloir remplacer Daech par leurs hommes de paille et couper l'axe Damas-Bagdad, ils prennent le risque d'entrer en collision directe avec l'Iran, ce dont s'inquiète jusqu'à The Atlantic. C'est en effet la politique de Téhéran, non de Moscou, de reconstituer l'arc chiite et la poussée loyaliste vers la frontière est plus d'obédience perse que russe.

Que fera Poutine ? On a vaguement l'impression que les chiites lui ont un peu forcé la main sur ce coup (c'est aussi ce que laissent entendre des officiels US qui n'ont peut-être pas tout à fait tort pour une fois). Le Kremlin doit être pris dans un certain dilemme : impossibilité de lâcher ses alliés mais risque sérieux d'escalade.

Les Américains ne sont pas mieux lotis. Les groupes rebelles soutenus par Washington restent ce qu'ils sont ; personne n'a oublié le fiasco de 2015 et il n'y a guère de raisons de croire que la cuvée 2017 soit beaucoup plus efficace... Face à une attaque résolue des forces loyalistes, la survie de ces groupes dépendra entièrement de la protection aérienne dispensée par les Etats-Uniens. Au risque de pour ces derniers d'être happés, de s'impliquer bien plus avant dans le conflit syrien (ce que la nouvelle administration avait juré de ne pas faire) et de se heurter de plein fouet aux Russes.

Cruel dilemme qu'on a visiblement compris à Damas et à Téhéran. Loin d'être découragée par le bombardement d'hier, l'armée syrienne envoie des renforts dans la zone et continue d'avancer en direction d'Al Tanaf. Quant au Hezbollah, il y aurait redéployé 3000 de ses combattants. Chaud...

 

Tag(s) : #Moyen-Orient

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