Ca chauffe...
Les deux bases - américaine et russe - sont à peu près confirmées. Les Turcs sont littéralement fous de de rage à l'idée de voir une base russe à leur frontière. Témoin, cet éditorial larmoyant du principal quotidien du pays :
La Russie établit une dangereuse base militaire au sud de la Turquie. Son but est de fournir un soutien militaire et logistique au PYD [le parti représentant les Kurdes syriens, ndlr] qui est une extension du PKK hors-la-loi. La Russie tentera de construire une zone autonome kurde dans le nord de la Syrie, à notre frontière. De là, elle supportera les activités des terroristes [pour Ankara c'est le PKK, ndlr] en Turquie ainsi que des émeutes urbaines. Elle formera également un bouclier protecteur : à partir de maintenant, tout tir sera considéré comme un tir contre les soldats russes. C'est là la raison de l'établissement de la base russe à Qamishli.
La relation entre le PYD et le PKK est connue de tous. La terreur urbaine que le PKK veut allumer en Turquie [LOL, on croyait que c'était Erdogan] et ses rêves d'autonomie sont clairs comme le jour. Il a été prouvé que le PKK reçoit un soutien logistique de Syrie et du PYD. Il est clair que la Russie entraînera et équipera le PYD à notre frontière sud et sera un bouclier pour lui.
La mauvaise foi du journaliste ne fait aucun doute - il ose se plaindre ailleurs de l'impérialisme des grandes puissances alors que le néo-ottomanisme turc est l'une des principales causes au chaos moyen-oriental actuel. Toutefois, il a le mérite de poser les bonnes questions, celles que nous évoquions déjà (ici, ici ou ici) il y a deux mois après ce qu'il convient désormais d'appeler "la bourde du 24 novembre" (l'incident du Sukhoi). Poutine a un boulevard pour déstabiliser durablement la Turquie via les Kurdes. Le boomerang syrien revient en vitesse démultipliée dans la figure du sultan.
Et comme nous le rapportions alors, Moscou est également en train d'encercler militairement la Turquie :
En mode panique, Ankara comptait beaucoup sur la visite de Joe Biden, le vice (à tous les sens du terme diront les mauvaises langues) US. Les Turcs sont restés sur leur faim, Joe l'Indien ayant dit tout et son contraire. Son "le PKK est un groupe terroriste, point-barre" a beaucoup plu mais les autorités turques ont déchanté lorsqu'il a caressé le PYD la minute suivante. Pour une fois, Davutoglu n'a pas eu tort lorsqu'il a répondu que le PKK et le PYD étaient peu ou prou la même chose. Les Américains sont pris dans les rets des invraisemblables contradictions de leur politique étrangère. Ces Kurdes-là sont nos amis, mais les mêmes de l'autre côté de la frontière sont d'horribles terroristes. Absurde...
Quant aux (légères) critiques de Joe l'Indien sur l'emprisonnement d'universitaires, intellectuels et journalistes, elles ont entraîné une réponse assez surréaliste du sultan : "la liberté d'expression ne concerne pas la propagande terroriste". Ah OK... Notons tout de même que les dirigeants américains sont plus courageux que leurs vassaux européens totalement muets sur la question, trop occupés qu'ils sont à accéder à toutes les demandes d'Ergo-gollum.
Comme si cela ne suffisait pas, voilà-t-y pas que le maf boss de la région autonome du Kurdistan irakien, pourtant compromis jusqu'au cou avec les Turcs, les Américains et Daech (en 2014), a lâché une bombe : Barzani a en effet appelé à redessiner les frontières Sykes-Picot du Moyen-Orient afin de créer un Kurdistan indépendant. On imagine comment la déclaration sera reçue à Ankara, mais aussi à Bagdad, à Téhéran et même à Damas...
Le Moyen-Orient est pourtant déjà suffisamment troublé comme ça avec la guerre froide qui se réchauffe de plus en plus entre l'Iran et l'Arabie saoudite depuis l'exécution du leader religieux chiite par le royaume wahhabite et le rappel des ambassadeurs. Le dernier clash en date a eu lieu sous les lambris dorés de Davos où se déroulait la fameuse réunion annuelle.
En Irak, où l'influence iranienne est immense, le gouvernement a menacé d'expulser l'ambassadeur saoudien avant que celui-ci ne présente ses plus plates excuses. Au Yémen, les troupes pétromonarchiques patinent toujours devant les Houthis désormais soutenus bien réellement par Téhéran. Les pauvres Seoud grassouillets en sont réduits à bombarder toujours plus de civils, ce qui n'empêche d'ailleurs pas certains pourris - le premier ministre britannique en l'occurrence - de multiplier les ventes d'armes au royaume fondamentaliste.
Rarement dans son histoire l'Occident sera tombé aussi bas que ces dernières années et ce n'est pas le plaisantin Carter qui nous contredira. Toujours à Davos, le chef du Pentagone nous a fait une petite déprime en direct et s'est plaint que "certains partenaires de la coalition anti-EI ne font absolument rien" contre les djihadistes. Sans blague, Ash... Les membres de la coalition étant ceux-là même qui ont coproduit Daech, seul un plutonien pourrait s'en étonner. Il semble d'ailleurs que deux autres grands amis de l'Occident - le Qatar et le régime ukrainien - soient de mèche pour fournir des systèmes anti-aériens à l'Etat Islamique contre les avions russes. Je combat Daech devant les caméras, nos amis l'aident en sous-main...
Mais revenons à notre guerre froide irano-saoudienne qui est partie pour durer et pourrait bien changer la physionomie du Moyen-Orient dans quelques années... Téhéran, maintenant débarrassée des sanctions et signant déjà une foultitude de contrats, a le vent en poupe et hésitera moins à soutenir tout mouvement séparatiste/rebelle chiite dans les pétromonarchies sunnites.
A 15% de la population ou au-dessus, la minorité chiite peut potentiellement créer une situation ingérable. Bahreïn est le premier sur la liste, mais le Koweït et, dans une moindre mesure les Emirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite elle-même sont prévenus !
C'est dans ce contexte bouillant que le rusé Xi a effectué une tournée. En plus de l'Egypte (où soit dit en passant la Russie vient d'obtenir le droit de créer une zone industrielle dans le canal de Suez), le président chinois a visité l'Arabie saoudite avant de terminer en beauté - je vous le donne dans le mille - en Iran. Il a sans doute proposé ses bons offices pour calmer un peu les ardeurs des deux ennemis.
Il a surtout ancré un peu plus la présence du géant asiatique au Moyen-Orient et promu son colossal projet de Route de la soie. A Riyad, la naissance du pétroyuan est encore un peu plus entérinée, futur arrêt de mort du pétrodollar qui portait la puissance américaine depuis la Seconde Guerre Mondiale. Quant à sa visite chez l'allié iranien, elle renforce encore s'il en était besoin le triangle eurasien qui devrait à terme contrôler le continent-monde. Entre autres choses, Pékin et Téhéran entendent décupler leurs échanges ces dix prochaines années !
Téhéran qui, par ailleurs, n'oublie pas son autre grand allié en interdisant les réexportations de produits turcs vers la Russie. L'ennemi de mon ami est mon ennemi.
Ce qui nous ramène au dossier syrien pour refermer cette grande boucle. L'armée loyaliste est partout à l'offensive : dans le sud où elle met les rebelles en grosse difficulté, dans la province de Lattaquié où elle a repris des dizaines de villes et villages. Ayant perdu beaucoup de terrain dans les provinces occidentales, Daech se réoriente sur ses territoires orientaux et prépare une sérieuse attaque sur Deir ez-Zoor qui lui échappe encore.
Chose très intéressante, la Jordanie a ordonné aux rebelles sous sa coupe de cesser les attaques contre Assad pour se concentrer sur Al Nosra. Nous avions annoncé il y a trois mois le début du retournement d'Amman, son éloignement d'avec la position américaine et son rapprochement avec Moscou. On commence à en voir les conséquences.
La situation est tellement mauvaise pour les terroristes modérés et leurs parrains que la guerre de l'information bat son plein. Un nouveau "lâchage imminent d'Assad par les Russes" a surgi, dans le Financial Times cette fois. Ca ne sera jamais que le dix-septième...