Les stratèges américains doivent se prendre la tête à deux mains devant la résilience iranienne. Dieu sait pourtant si l'empire a tout tenté contre sa bête noire, la sanctionnant, la harcelant, s'ingéniant à la couper du reste du monde. Mais il en faut plus pour démonter le patient et subtile Perse, grand maître d'échecs devant l'éternel, et une poignée de récentes nouvelles ont sans doute envoyé des signaux d'alarme du côté de Washington.
Le lecteur de nos Chroniques connaît par cœur le nom d'Al Bukamal.
Attardons-nous sur une petite info lourde de conséquence. Dans un billet intitulé Arc chiite an I, nous écrivions il y a vingt mois :
C'est dans ce contexte que l'on apprend, et c'est tout sauf un hasard, que le 4+1 a décidé de passer la vitesse supérieure le long de la frontière syro-irakienne, pierre angulaire de l'arc chiite potentiellement (re)constitué.
Du côté syrien, l'armée et le Hezbollah ont, avec le précieux soutien de l'aviation russe, relancé les opérations vers Al Bukamal / Al Qaïm, point nodal crucial de la recomposition moyen-orientale. Dans le même temps et en parallèle, de l'autre côté de la frontière, l'armée irakienne et les UMP chiites ont libéré la zone d'Akashat.
La coordination avec Damas semble évidente. A ce rythme et au vu de l'effondrement daéchique, l'alliance chiite ne devrait pas tarder à arriver en vue d'Al Bukamal / Al Qaïm. La prise de ce dernier bastion califal ne sera certes pas chose aisée, mais c'est la grande image qu'il faut prendre en compte : suppression définitive du corridor sunnite nord-sud et mise en place de l'arc chiite est-ouest. Au grand dam de qui vous savez.
Bingo ! Depuis qu'Al Bukamal est revenue, fin 2017, dans le giron loyaliste, les Iraniens y sont présents. Le noeud stratégique est en effet fondamental pour la marche de Téhéran vers le ponant :
L'arc chiite, en partie reconstitué après la victoire des syro-russo-iraniens en Syrie, (re)devient le cauchemar stratégique de Washington, Tel Aviv et Riyad. Les Iraniens s'établissent sur la Méditerranée tandis que la construction d'une autoroute Iran-Irak-Syrie a commencé (elle finira par relier Téhéran à Beyrouth) et qu'un projet de voies ferrées ressort du sable. Les futures routes de la Soie chinoises doivent passer par là...
Or, qu'apprend-on ? Les Iraniens ont entrepris des travaux pour ouvrir un nouveau passage près d'Al Bukamal (l'ancien étant totalement détruit par la guerre). Il n'en fallait pas plus pour que le système impérial entre en mode panique et imagine déjà les cargaisons d'armes à destination du Hezbollah ou de pétrole pour alléger les sanctions US.
Téhéran double la mise en fortifiant sa base d'Al Bukamal et en y creusant des tunnels pour éviter d'intempestifs bombardements israéliens sur des cargaisons stratégiques. Crise d’urticaire à Tell Aviv... Comme chacun sait, la grande affaire du Moyen-Orient depuis quinze ans, expliquant notamment la guerre syrienne, consiste en deux mots : arc chiite. L'empire et ses filiales tentent désespérément de le couper, l'Iran de l'agrandir. A cet égard, Téhéran ne lâche rien, ni dans le maelstrom irakien, ni en Syrie où ses zones d'influence sont conséquentes.
Un pied au Moyen-orient, un pied en dehors ; nous avons montré à plusieurs reprises la place essentielle de l'Iran dans la multipolarité eurasienne. Russes et Chinois l'ont compris depuis longtemps et forment avec Téhéran un triangle qui donne des sueurs froides à Washington. Fait notable, ces trois-là vont d'ailleurs, pour la première fois de leur histoire, participer à des exercices navals communs à la fin du mois.
Manœuvres russo-irano-chinoises, alliance militaire russo-iranienne en Syrie où Pékin aide d'ailleurs à la reconstruction, montée en puissance du dragon dans le secteur énergétique iranien, livraison par Téhéran de pétrole à Damas, volonté de l'Iran de développer ses relations avec l'Union Economique Eurasienne d'obédience russe, avec laquelle il a déjà signé un accord en septembre... Sur le continent-monde, les liens se tissent inexorablement malgré les hoquets impériaux.