Telle un dragon tourbillonnant dans le ciel et accaparant l'attention universelle avant de disparaître dans les nuées, la Chine, puissante, incontournable, s'envole parfois mystérieusement de l'actualité sans que l'on sache trop pourquoi. Elle y revient cependant invariabement, toutes ailes et flammes déployées, comme c'est le cas actuellement.
Au Venezuela, l'arrivée d'un contingent militaire russe, dissuasion psychologique appréciable vis-à-vis des organisateurs du changement de régime, avait déjà défrayé la chronique et exaspéré Washington. Les Chinois en rajoutent maintenant une couche, envoyant eux aussi à Caracas, ou plus exactement sur l'île de Margarita, 120 soldats. Si leur mission officielle est de distribuer l'aide humanitaire, notamment les 65 tonnes de médicaments envoyées par Pékin il y a quelques jours, il se murmure que le groupe compte dans ses rangs des spécialistes en cyberguerre. Toujours utile en ces temps de sabotage du système électrique par les petits génies de Langley...
La symbiose sino-russe est tellement entrée dans les mœurs que l'on en parle moins. Elle reste cependant un fait incontournable des relations internationales en ce début de XXIème siècle. Contrairement aux dirigeants occidentaux qui ont fait de la communication leur seul argument politique, Russes et Chinois ne parlent jamais pour ne rien dire. Quand Poutine évoquait en 2017 le "niveau sans précédent des relations sino-russes", que de son côté Xi Jinping considérait à "un plus haut historique et un modèle entre grandes puissances", leur parole était d'or. On en a encore la preuve actuellement au Venezuela, l'envoi des militaires ayant évidemment été coordonné en amont à Moscou et à Pékin.
Exemple parmi beaucoup d'autres de la coopération stratégique entre l'ours et le dragon, le Sila Sibiri est terminé et le gaz devrait couler à flots dès septembre. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas les deux compères de reprendre les discussions sur un autre formidable pipeline, l'Altaï. Les stratèges de Washington en ont des sueurs froides et voient avec horreur l'inexorable avancée de ces tubes qui vont de plus en plus irriguer le continent-monde, hors du contrôle de l'empire maritime.
La dédollarisation va bon train elle aussi. Le blog ayant sans cesse de nouveaux lecteurs, un petit rappel n'est peut-être pas inutile :
Bretton Woods, 1944
Alors que la poussière du débarquement de Normandie venait à peine de retomber et que la guerre contre l’Allemagne était loin d’être terminée, les Etats-Unis réunirent une quarantaine de pays à Bretton Woods pour préparer leur domination future. Contrairement à la Première guerre, leur intervention dans le second conflit mondial n’avait rien de débonnaire. C’était décidé, ils allaient s’intéresser aux affaires du monde. Et pour ce pays pétri d’idéologie messianique, convaincu d’être "la nation indispensable", s’intéresser au monde équivalait à le dominer.
Ce 22 juillet 1944, les délégués signèrent ni plus ni moins la domination universelle du dollar pour les décennies à venir, organisant le système monétaire international autour du billet vert. Parmi les nouveautés, un FMI et une Banque mondiale prêtant tous les deux uniquement en dollars, obligeant ainsi les pays demandeurs à acheter de la monnaie américaine, donc indirectement à financer les Etats-Unis. Le dollar était la pierre angulaire de tout le système, intermédiaire unique et indispensable pour demander un prêt, acheter de l’or et bientôt acheter du pétrole (pétrodollar en 1973). De Gaulle s’élevait déjà contre cette capacité inouïe de l’Amérique à "s’endetter gratuitement", donc à faire financer sa domination sur les autres par les autres. Giscard, qui n’avait pourtant rien d’un marxiste anti-impérialiste, parlait de "privilège exorbitant". Nixon répondait : "notre monnaie, votre problème".
On ne peut certes pas résumer les causes de la domination états-unienne de l’après-guerre au seul statut de sa monnaie, mais celui-ci a joué un rôle crucial. C’est ce que Washington est en train de perdre…
Oufa, 2015
71 ans après Bretton Woods, la position dominante du dollar commence à battre sérieusement de l’aile. Le mouvement débuta il y a quelques années quand les puissances émergentes commencèrent à dédollariser leurs échanges, rejoints par un nombre toujours plus grand de pays. Chine, Russie, Brésil, Inde, Iran, Argentine, Turquie, Pakistan, Afrique du Sud, Egypte et même maintenant Australie, Canada ou Corée du Sud… tous ces pays commercent, à des degrés divers, en dehors du système dollar ou sont en voie de le faire. Mais c’est la crise ukrainienne qui a été l’accélérateur. Devant ce qu’il voyait comme une volonté hégémonique américaine de contrôler l’Eurasie, Poutine s’est attaqué aux fondations de la domination US, participant à la création d’un système financier entièrement nouveau, parallèle, concurrençant les institutions de Bretton Woods. Chine, Inde ou Brésil, qui réclamaient en vain depuis déjà plusieurs années une redistribution des cartes au sein du FMI ou de la Banque mondiale, ont sauté sur l’occasion.
Depuis des années, Moscou et Pékin s'attaquent au pétrodollar par l'entremise de l'or ou du pétroyuan. Le Kremlin accélère encore le rythme frénétique de ses achats de métal précieux en attendant de se ruer sur le yuan quand celui-ci sera enfin pleinement convertible. En outre, les banques russes se rallient à l'alternative chinoise au système Swift, sis à Bruxelles et toujours susceptible d'être à la merci du délire de sanctionnite aigüe qui plane sur Washington.
Sans surprise, la Russie et la Chine, "plus alignées que jamais dans leur histoire" (dixit le Deep State), représentent la plus grande menace existentielle qui soit pour le système impérial US.
Nos Chroniques ont, à de multiples reprises, insisté sur le changement tectonique que nous sommes en train de vivre, et que Lavrov a imperturbablement résumé il y a quelques jours : "C'est la fin de 500 ans de domination occidentale sur le monde". Et le facétieux Sergueï d'ajouter : "On comprend que cela soit douloureux pour nos partenaires occidentaux..."
D'autant que dragon et ours entraînent joyeusement à leur suite le nouveau monde multipolaire qui se met en place, et notamment ces deux joyaux de la couronne que sont l'Inde et l'Iran. A eux quatre - mais encore faut-il que les conflits anciens et tenaces de cette partie du monde soient réglés -, ils formeront le quadrige de l'Eurasie qui mettra à mort l'empire maritime américain.
La puissance économique chinoise est même en train de débaucher les euronouilles, vassales depuis toujours de Washington. Nous avons vu récemment que l'Italie entre dans la danse des Nouvelles routes de la Soie, ce qui a provoqué quelques cris d'orfraie en provenance de Berlin, Paris et Bruxelles. Loin d'être opposés par principe au projet pharaonique du dragon, les eurocrates réclament en fait tout simplement leur place à la table du banquet. Tonton Sam en a les dents qui grincent...
Point très combien intéressant, les routes de la Soie s'étendront à la Crimée, dans un clair message de soutien à Moscou et de défi envers Washington et Kiev. On imagine la rage de Poroclown, qui a tout de même réussi à se qualifier de justesse pour le second tour de la présidentielle malgré nos prévisions et la contestation des résultats par Timochenko. A moins d'un miracle fortement aidé par les officines US (comme au bon vieux temps d'Eltsine), le roi du chocolat ne sera de toute façon pas réélu, en dépit de ses appels du pied quelque peu lourdauds à l'establishment impérial, comme la décision de renommer une rue de la capitale pour honorer McCainistan.
Terminons par une région dont on parle peu mais qui, elle aussi, sourit au dragon : l'Arctique. Le réchauffement climatique permet peu à peu d'y dégager la route du grand Nord, qui verra bientôt les navires chinois naviguer pour contourner les points chauds de l'océan mondial (détroit de Malacca) que tente de contrôler la marine américaine. Pour Pékin, une excellente nouvelle stratégique de plus...
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OG