Effritement du système impérial, suite...
En Italie, une coalition ""populiste"" (à mettre entre huit guillemets) arrive au pouvoir. L'euronouillerie est atterrée : le nouveau gouvernement italien, ouvertement eurosceptique, ouvre une nouvelle crise au sein de l'UE et caresse même l'idée, si les choses ne changent pas, de quitter l'euro et revenir à sa monnaie nationale.
Autres joyeusetés au programme : restriction drastique de l'immigration (Soros et les banksters vont faire grise mine) et surtout levée des sanctions contre la Russie. A ce titre, relevons que même les précédents gouvernements italiens pro-UE - Berlusconi, Prodi, Renzi - ont toujours été très réticents devant la croisade hystérique anti-russe de l'empire et de ses affidés du Vieux continent. C'est une spécificité italienne que de vouloir maintenir de bonnes relations avec Moscou.
Après une accalmie en 2017 (victoires de Merkel et de Micron), l'establishment entre à nouveau en mode panique : les horribles et infâmes partis "populistes" sont partout en crue :
Le côté obscur de la force, en quelque sorte... Le mois dernier, déjà, le Hongrois Orban, bête noire de Bruxelles, avait été largement réélu. Dans le collimateur, l'Open Society sorosienne qui devrait bientôt quitter la Hongrie.
Balkans un jour, Balkans toujours. Le président bulgare était cette semaine à Sochi pour rendre une petite visite à Vladimirovitch. Au menu des discussions, le gaz. Tiens, tiens... Sofia est depuis des années au centre du feuilleton énergétique le plus célèbre de la Mer noire, suivi avidement par toutes les chancelleries de la région et d'ailleurs. Petit rappel :
Craignant l'intégration de l'Eurasie comme la peste, les Américains travaillent depuis la fin officielle de la Guerre froide (1991) à séparer l'Europe de la Russie, tout spécialement dans le domaine énergétique. Alors que la Russie regorge d'hydrocarbures et que l'Europe ne demande qu'à les consommer, les Etats-Unis et les institutions européennes qu'ils ont phagocytées ont tout fait depuis une vingtaine d'années pour contrarier (en rouge sur la carte) le flot énergétique Est-Ouest : prêches sur le "danger russe" et diabolisation intense de son gouvernement, crises gazières ukrainiennes encouragées par Washington, expansion de l'OTAN vers l'est, flatteries aux pays de la "Nouvelle Europe" (Pologne, pays baltes etc.), coup d'Etat à Kiev l'année dernière... Par ailleurs, pressions et "encouragements" sont donnés à profusion aux pays européens pour qu'ils se fournissent ailleurs, même si cela doit aller contre leurs propres intérêts économiques ou si les nouvelles routes énergétiques proposées (en vert sur la carte) sont illusoires, comme l'amusant Nabucco qui a fait long feu, ou sa resucée, le Corridor sud. Ici, la désinformation économique tourne à plein par le biais de think tanks et autres officines pas tout à fait neutres, nous en avions déjà parlé.
Parfaitement conscients des manigances américaines dans ce Grand jeu énergétique ô combien passionnant, les Russes ont contourné le nouveau "rideau de fer" US par deux gazoducs devant passer au nord par la Baltique et au sud par la Mer noire : Nord Stream et South Stream. Le premier a pu être construit (2010-2011), s'appuyant sur les derniers dirigeants européens un tant soit peu indépendants (Schroeder), mais le second, un peu plus tardif, est resté dans les cartons après son annulation l'année dernière. Les Américains et leurs affidés de la Commission de Bruxelles ont réussi à torpiller le projet grâce à des arguties juridico-institutionnelles (le Troisième paquet énergétique européen, pourtant apparu après le projet du gazoduc) ainsi qu'une intense pression sur la Bulgarie (visite de McCain...)
Jamais à court de bottes secrètes, Poutine a, à la surprise générale, proposé en décembre dernier un nouveau pipeline aboutissant à la frontière gréco-turque, donc en dehors de la juridiction de l'UE, quitte pour ses pays membres à venir se servir eux-mêmes. C'est le fameux Turk Stream ou Turkish Stream, qui risque fort de couper définitivement l'herbe sous le pied aux projets américains tout en contournant lui aussi le rideau de fer de la "Nouvelle Europe", notamment l'Ukraine putschiste post-Maidan. Avec ce tube (en violet sur la carte), enterrées les chimères du gaz azéri à peu près inexistant, du gaz turkmène qui ne pourra jamais passer sous la Caspienne, du gaz qatari bloqué par la Syrie d'Assad ou du gaz iranien (le seul vrai danger pour Moscou même si Téhéran est, par ailleurs, un allié). Ensuite, le gazoduc devait passer par la Grèce de Tsipras (alors aux prises avec la Troïka) avant de gentiment remonter vers la Hongrie et l'Autriche.
Les Américains ont immédiatement tenté de réagir en faisant ce qu'ils savent faire de mieux, c'est-à-dire en semant le chaos en Macédoine (événements du printemps), en exerçant une intense pression sur la Serbie, tous deux pays de passage du tube, et en tentant de déstabiliser Orban en Hongrie. Deux "révolutions" de couleur pour le prix d'une ! Mais les petits stratèges de Washington en ont été pour leurs frais : mise à part la Serbie qui a vacillé, les autres sont restés droit dans leurs bottes.
En succombant à la pression conjointe de Bruxelles et de Washington, le gouvernement bulgare avait fait une croix sur les lucratifs frais de transit du South Stream (400 millions par an). On se souvient de l'énorme malaise que cela avait provoqué à Sofia et plus généralement dans les Balkans, dont les pays supportent de plus en plus mal la tutelle euro-atlantique. Et ce n'est pas la "vague populiste" en Europe de l'est qui arrangera les affaires du système impérial...
Après l'annulation du South Stream par le gouvernement atlantiste et corrompu de l'époque, les Bulgares en étaient désormais réduits à glousser de soulagement à la possibilité de recevoir une branche terminale du Turk Stream, pour le même gaz qu'ils vont payer plus cher et sans royalties. Il y avait également une autre possibilité que nous évoquions il y a tout juste deux ans à propos d'un mystérieux pipeline de la Mer noire, du temps où Moscou et Ankara étaient encore brouillés après l'affaire du Sukhoi :
La piste bulgare est entre autres considérée, ce qui rejoindrait certains bruits à Sofia sur le remplacement du South Stream par un Bulgaria Stream, le tube russe arrivant sur une plateforme gazière offshore, extraterritoriale à l'UE pour ne pas froisser les europloucs de Bruxelles. Gazprom renoncerait à construire le pipeline traversant les Balkans, laissant les Européens se débrouiller (ce qui était déjà le plan du Turk Stream prévu pour arriver à la frontière grecque). Ce qui est sûr, c'est que les Bulgares ne sont pas du tout contents de l'annulation sous pression américaine du South Stream.
Depuis, un président eurosceptique et pro-russe a été élu à Sofia, celui-là même qui vient de rendre visite à Poutine. Et aux dernières nouvelles, il s'agirait de l'extension du Turk Stream, mais Gazprom ne s'engagera qu'après avoir reçu toutes les garanties de l'UE. Ours échaudé craint l'eau froide... Ca tombe bien, les relations se réchauffent entre Bruxelles et le géant russe, et un accord à l'amiable vient enfin d'être trouvé à propos de la longue dispute juridique sur l'abus de position dominante reproché à Gazprom. Signe du tectonique et inévitable rapprochement, quoique désavoué publiquement par les euronouilles, entre le Vieux continent et le Heartland ?
Gazprom n'aura pas à payer d'amende. Le géant gazier russe a été épargné par la Commission européenne, après de longues tractations (...) Il risque pourtant d'y avoir quelques grincements de dents. Car la Commission n'a pas fait preuve de la même mansuétude envers des géants américains comme Apple condamnés à des amendes colossales. Gazprom était notamment accusé de pratiquer des prix très élevés et de demander des contreparties dans ses contrats de livraison. Le groupe risquait des sanctions pesant jusqu'à 10% de son chiffre d'affaires, soit quelque 8 milliards d'euros.
Enfonçant un coin entre le centre impérial US et ses vassaux européens quelque peu perdus depuis l'élection du Donald, le Kremlin flatte l'égo de ces derniers en proposant, au Forum économique de Saint-Pétersbourg qui vient d'ouvrir et où l'on retrouve du beau monde, de choisir l'euro pour son commerce extérieur avec l'UE "si nos partenaires européens prennent position sans équivoque" contre les sanctions américaines.
L'ours a lu tous les classiques de la stratégie chinoise... Moscou soutient la montée de l'anti-système en Europe mais offre en même temps une planche de salut pour le système eurolâtre désespéré de sauver sa monnaie unique. Moscou préférait Trump à l'hilarante mais profite de la scission créée par l'élection du Donald pour retourner les Européens contre leur suzerain américain. Du velours...
A Saint-Pétersbourg justement, en compagnie de Poutine, Abe, Lagarde, Schroeder ou encore le vice-président chinois, Macron a évoqué les Nouvelles routes de la Soie et la volonté européenne d'y être connectée. Il a également répété jusqu'à plus soif les mots "souveraineté", "coopération" et "multilatéralisme", vocabulaire quelque peu détonnant dans la bouche d'un Young Leader.
Déjà, la veille, il avait insisté sur les "principes communs" entre Paris et Moscou et assuré que "la politique française en Syrie n'est pas de procéder depuis l'extérieur à quelque changement de régime que ce soit ou à quelque transition". Certes, c'est un peu facile maintenant qu'Assad a repris la majorité du territoire.
Ce qui restait des petits hommes en noir de l'EI ont été évacués de Yarmouk et la région de Damas est totalement libérée. Une première depuis 2012 :
Désormais, tous les regards se tournent vers le sud et Deraa, où les barbus modérément modérés ont reçu un avertissement final avant l'offensive. Les forces loyalistes affluent, y compris les milices palestiniennes pro-Bachar. La tension près du Golan occupé par Israël - qui y a, rappelons-le, soutenu Al Nosra et Daech afin de créer une zone tampon - risque de monter d'un cran. Il faudra tout le tact russe pour éviter une escalade générale.
Toujours est-il que l'empire a perdu son pari en Syrie, un fiasco parmi d'autres pour les petits génies de Washington. Suite au prochain épisode...