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Alep, la mère de toutes les batailles

Depuis que Russes et Iraniens sont massivement intervenus à l'automne dernier pour sauver le soldat Assad et son régime laïc, assailli par les hordes sunnito-pétromonarchiques à la sauce turco-US, les observateurs devinaient que la bataille d'Alep déciderait du sort du conflit.

Il fallait d'abord desserrer l'étau djihadiste autour des principales villes syriennes, ce qui a été fait durant les premiers mois. Désormais, 80% de la Syrie utile est aux mains des loyalistes, sécurisée, bunkerisée presque. Damas, Homs, Hama et Lattaquié sont presque aussi sûres que Paris ou Berlin.

La phase suivante consistait à reconquérir les territoires perdus. Si d'incontestables avancées ont eu lieu (Palmyre, Goutha, Qalamoun, nord de la province de Lattaquié, alentours d'Alep pour l'armée syrienne ; frontière syro-turque pour les Kurdes), force est de reconnaître que les djihadistes "modérés" si chers à l'Occident, et d'ailleurs armés par lui, ont offert une grande résistance. Comme le dit si bien l'excellente Caroline Galacteros :

L’ennemi [le djihadiste, ndlr] ne voit nulle perte dans sa propre mort. Il ne se sacrifie pas. Il saisit en mourant l’occasion d’échapper à l’égarement ou l’exploitation que lui propose la modernité occidentale. Nous devrions prendre bien plus au sérieux que nous ne le faisons ces argumentaires qui semblent délirants à nos sociétés ultra-individualistes mais portent une forme d’héroïsme désespéré mais agissant.

Les soldats d'Assad, comme le Hezbollah, les Iraniens ou les Kurdes, sont certes durs au mal et prêts à se sacrifier pour leur cause, mais ils ne sont pas suicidaires. Ils ressemblent de ce point de vue bien plus aux armées occidentales dépeintes par l'analyste qu'aux fous de Dieu capables de se faire sauter avec allégresse pour rejoindre leurs 99 vierges...

En additionnant Daech, Al Qaeda et Ahrar al-Cham, nous avons affaire à des dizaines de milliers de kamikazes potentiels, prêts à se lancer sur les lignes ennemies à bord de véhicules bourrés d'explosifs ou à mourir pour faire simple diversion. Rarement, sinon jamais, une guerre aura été menée dans ces conditions, ce qui explique la lenteur de la reconquista par les forces loyalistes.

Et pourtant, elles y arrivent, ce qui en dit long sur leur qualité de combattants... A ce propos, certains en Israël sont sans doute en train de suer à grosses gouttes quand ils envisagent le retour au Liban de cette génération de combattants du Hezbollah, aguerrie comme jamais au feu syrien. Si le parti de Nasrallah saigne incontestablement (1 500 morts ?), les gains matériels et l'expérience qu'il retire du conflit syrien pourraient asseoir encore un peu plus sa prééminence au pays du Cèdre.

En Syrie, donc, les loyalistes progressent un peu partout. L'abcès de la Ghouta, à l'est de Damas, ne sera bientôt plus qu'un souvenir si l'armée continue son avance. Notons que l'éradication de cette poche, lieu symbolique de la rébellion et lieu de la vraie-fausse attaque chimique de 2013 rappelons-le, serait un coup énorme porté au moral des djihadistes modérés et immodérés.

A Deir ez-Zor, l'armée résiste assez héroïquement à Daech depuis des années et continue d'infliger de sérieuses pertes aux petits hommes en noir qui aimeraient tant enfin réduire ce point de résistance et multiplient pour ce faire les offensives ratées. Dans la région de Palmyre, c'est plus serré, l'EI faisant preuve d'une réelle résilience. Les daéchiques y ont abattu un hélicoptère, tuant deux pilotes russes, il y a quelques jours et continuent de harceler les forces syriennes. Les bombardiers Tupolev ont dû entrer en action et déverser leur cadeaux sur les turbulents djihadistes afin de les assagir.

Mais c'est évidemment à Alep que beaucoup se joue. Les groupes rebelles, désespérés d'être pris au piège, lancent attaque sur attaque, qui échouent les unes après les autres, prélevant au passage leur quota de morts. La ville des savons se transforme peu à peu en Stalingrad où chaque bâtiment, chaque rue est l'objet d'intenses combats (c'est en russe mais les images parlent d'elles même) :

Que ce verrou du nord soit repris et c'est le début de la fin pour l'insurrection djihadiste. C'est sans doute la raison pour laquelle le Hezbollah est en train de dégarnir ses autres fronts afin de se concentrer sur Alep. Bien sûr, il restera la province d'Idlib - où les chefs d'Al Qaeda et d'Ahrar al-Cham sont d'ailleurs mystérieusement assassinés les uns après les autres - mais celle-ci est isolée du reste du pays. Son seul atout jusqu'à maintenant était d'être accolée à la Turquie, mais quid désormais de la politique d'Ankara après le diplomatiquement spectaculaire rabibochage avec Moscou ?

Car derrière les combats homériques livrés sur le terrain, de non moins shakespeariennes manœuvres ont lieu en coulisses, dont nous ne pouvons esquisser que les contours, simples béotiens que nous sommes. Une chose semble évidente : la tendance est à l'alignement du "camp du Bien" sur les positions russes et non l'inverse. Un faisceau de signes indique qu'il ne s'agit pas ici d'une diversion mais bien d'un réel retournement :

  1. Pour la première fois, Kerry, peut-être accidentellement mais en tout cas publiquement, a plus ou moins mis dans le même sac Ahrar al-Cham et Jaysh al-Islam - mouvements islamistes-salafistes que Washington ne considère pourtant pas comme terroristes - et Al Nosra et Daech. Or c'est exactement ce que Moscou affirme depuis des mois. Est-ce un feu vert tacite ? Vlad, tu as carte blanche pour bombarder ces groupes, nous ne dirons plus rien. Notez le lancinant regret du néo-con Washington Post...
  2. Déjà en avril, lors d'un point presse qui avait échappé à votre serviteur, le porte-parole de l'armée US en Irak avait reconnu qu'Alep était principalement tenue par Al Nosra : "That said, it's primarily al-Nusra who holds Aleppo, and of course, al-Nusra is not part of the cessation of hostilities."
  3. Le nouveau Premier ministre turc, mielleux comme jamais, a déclaré qu'Ankara cherchait la réconciliation avec ses voisins, y compris la Syrie ! Quant aux Saoudiens, ils brillent par leur silence depuis quelques temps (leur agonie yéménite y est peut-être pour quelque chose...)
  4. Hollande admet enfin qu'Al Qaeda est un danger.
  5. La presse occidentale, habituel porte-voix de l'empire, est à peu près muette sur l'offensive syrienne alors qu'elle aurait poussé des cris d'orfraie il y a encore quelques mois. Pire, avec six ans de retard Amnésie Amnesty International dénonce les "crimes de guerre" des rebelles modérés qui ne sont soudain plus si modérés.

Bien sûr, tout ne se fera pas du jour au lendemain, on entendra encore - de plus en plus rarement - des "Assad doit partir"... Mais le changement d'atmosphère est frappant. Assiste-t-on aux prémices d'une psy-op visant à préparer l'opinion publique au formidable retournement (de veste et d'autre chose) qui se prépare, grande spécialité occidentale si l'en est ? Les néo-cons US ont-ils été mis en échec par les éléments plus modérés ? La mutinerie des diplomates et les règlements de compte au sein de l'establishment indiquent assez clairement que les Etats-Unis ont perdu le contrôle de la situation (ou l'illusion du contrôle). Le sultan a-t-il définitivement fait une croix sur ses ambitions ottomanes syriennes ?

L'avenir apportera des réponses à toutes ces interrogations. Mais il semble que les ingérences extérieures du "camp du Bien" se feront de plus en plus rares en Syrie, ouvrant la voie à la reconquête du pays par les forces loyalistes. Place au bruit des canons...

Tag(s) : #Moyen-Orient, #Etats-Unis, #Russie

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