Désabusés par leurs défaites face à la Mannschaft, les joueurs de la perfide Albion avaient coutume de dire « Le football se joue à onze contre onze et à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne ». Dans la grande partie énergético-eurasienne, ce serait plutôt un certain gazoduc dont nous avons déjà beaucoup parlé.
Ici, l'avant-centre russe s'appelle Gazprom. En bon renard des surfaces, il se retrouve toujours bien placé pour marquer le but de la victoire quand on ne l'attend pas...
Tout commence avec le psychodrame eurocrato-biélorusse. Depuis l'été, le moustachu de Minsk, en colère après les sanctions de Bruxelles, nous joue le remake d'Erdogan au pays des migrants, production certes sans grande originalité mais dont l'efficacité ne se dément pas.
Le chantage est indéniable, d'autant plus que Loukachenko fait spécialement venir ces migrants, principalement irakiens et même kurdes irakiens, en faisant tourner la planche à billets visas dans son ambassade à Bagdad.
L'intimidation a évidemment l'heur de mettre hors d'eux les voisins de la Biélorussie - Baltes d'abord, Pologne maintenant, pays qui tiennent à leurs frontières - et dans l'embarras Bruxelles et Berlin qui, en soi, ne seraient peut-être pas contre un nouvel arrivage migratoire mais trouvent tout de même le procédé loukachenkien assez olé olé...
Il n'en fallait pas plus pour que soit pointée du doigt l'ombre diabolique de Poutine - et d'Erdogan en passant - qu'on accuse d'instrumentaliser Minsk pour affaiblir l'Europe, au prétexte qu'une partie des "voyageurs" en question arrivent en Biélorussie par la Turkish Airlines et Aéroflot. La petite musique, fredonnée par les habituels think tanks impériaux il y a quelques jours, est maintenant reprise sans surprise par notre bonne et chère presse libre.
Il suffit pourtant d'aller sur n'importe quelle agence de voyage pour constater que la plupart des vols du Moyen-Orient à destination de Minsk sont opérés par ces compagnies, surtout la Turkish. Dans un étonnant exercice d'objectivité (mais qui ne saurait sans doute durer), la BBC elle-même ne dit d'ailleurs pas autre chose.
Bref, point de grand complot ici mais, bien plus simplement, la position dominante de ces compagnies sur ce créneau géographique, compagnies qui ne vont tout de même pas refuser des clients pour ne pas être accusées de faire le jeu de leur pays. De plus, contrairement aux clichés débités sans relâche sur les ondes, Loukachenko n'est pas le pion de Poutine ; nous l'avons suffisamment démontré sur ce blog.
Mais revenons à notre feuilleton...
Devant la menace de sanctions bruxelloises supplémentaires, le moustachu contre-attaque et menace sans rire de couper le gaz à l'Europe. Sans rire, car l'or bleu russe à destination du Vieux continent n'appartient évidemment pas à la Biélorussie et son "interception" constituerait un casus belli.
Poutine aurait pu s'énerver tout rouge, mais cette nouvelle crise constitue en réalité une promotion en or pour le Nord Stream II et il ne faut pas être grand clerc pour deviner la teneur des conversations entre le Kremlin et les capitales européennes. Après les multi-coupures ukrainiennes, voilà que la Biélorussie s'y met à son tour ; la seule voie sûre est constituée par les tubes baltiques, ma bonne dame.
Un Vladimirovitch qui risque une nouvelle fois de sortir grand gagnant du bras de fer. D'abord en assurant la pérénité de son gazoduc - peut-être même en proposant bientôt un Nord Stream III, qui sait au rythme où vont les choses ?
Mais aussi en se posant comme l'entremetteur indispensable entre l'UE et Minsk pour régler la crise. C'est ce que demande officiellement Frau Milka pour ce qui est peut-être le dernier message politique. Et aux dernières nouvelles, l'ambassade irakienne à Moscou - est-ce un hasard ? - propose de mettre en oeuvre les conditions pour permettre le rapatriement de ses ressortissants.
Décidément, tous les chemins passent par (la troisième) Rome...