Inexorablement, la planète géopolitique continue de tourner, avec son lot de grandes et petites nouvelles, de comédies (voir l'invraisemblable feuilleton du Nord Stream) et de drames (Birmanie, Mozambique ou, plus près de nous et du Grand jeu, Ukraine où les tensions montent dangeureusement depuis quelques semaines). Il y en a pour tous les goûts et les trois cas sur lesquels nous nous penchons aujourd'hui ne déparent pas dans le paysage...
La grande nouvelle du week-end aura été la signature attendue de l'accord entre la Chine et l'Iran. Sans surprise, il a provoqué une noria de commentaires enflés, comme cet article du New York Times, visant évidemment en creux à critiquer Trump pour avoir "livré" l'Iran au dragon. Quelqu'un pourra peut-être expliquer aux plumitifs en question que les discussions entre Pékin et Téhéran ont commencé en 2016, avant même l'élection du Donald...
En réalité, il convient de raison garder sur la portée de la chose, comme nous l'expliquions déjà il y a six mois :
Et bien sûr, il y a le projet d'accord sino-iranien qui a défrayé la chronique en juillet. Chose amusante, ses implications ont été exagérées à la fois par les durs à Téhéran (autour d'Ahmadinejab) et par les Iraniens exilés aux Etats-Unis, alliés aux néo-cons US.
S'il convient de ne pas tomber dans l'hyperbole, notamment dans le domaine militaire où certains esprits exaltés voyaient déjà des bases chinoises au pays de Cyrus, il n'en reste pas moins qu'il s'inscrit dans la droite ligne de la cordiale relation sino-iranienne et l'amplifie : routes de la Soie, investissements massifs dans le pétrole et le gaz, défense cybernétique et peut-être même pipelines vers la Chine...
Ce n'est pas un désastre stratégique pour Washington mais c'est, à coup sûr, une mauvaise nouvelle.
Nous sommes rejoints dans notre analyse par plusieurs bons connaisseurs du dossier, qui remettent notamment en question la somme avancée (400 milliards de dollars), basée sur des "sources anonymes" invérifiables et sans doute à côté de la plaque.
Il n'en reste pas moins que cet accord est un jalon géopolitique important qui symbolise la montée en puissance de Pékin sur la scène moyen-orientale et montre accessoirement que l'Iran, acteur incontournable de la région, ne peut, ne pourra jamais être isolé. Le triangle eurasien continue son inexorable rapprochement...
Pendant ce temps, à Minsk, l'heure est à la franche rigolade. Sans doute soulagé de ne pas avoir été renversé par la contestation (ça aussi, c'était prévu depuis longtemps ici même), le pouvoir se permet de troller l'oncle Sam avec un humour ravageur.
On savait que Lavrov avait déjà cassé les codes diplomatiques il y a quelques années...
Le facétieux Sergueï, diplomate à l'ancienne mêlant maîtrise des dossiers, culture aiguisée et humour féroce, adore ce genre de situation. Le 1er avril, son ministère des Affaires étrangères a d'ailleurs osé sur son répondeur général un poisson qui restera dans les annales :
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Pour parler à un opposant, appuyez sur la touche 1
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Pour utiliser le service de hackers russes, appuyez sur la touche 2
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Pour demander une ingérence électorale, appuyez sur la touche 3 et attendez les prochaines élections.
... mais les Biélorusses viennent de se surpasser. Le Ministère des Affaires étrangères a en effet émis un extraordinaire communiqué qui, sur un ton volontairement ampoulé et aimable, diplomatique en un mot, ridiculise les prétentions américaines et les retournant contre Washington. Il est impossible de le reproduire in extenso ici, d'autant plus que certains passages sont difficilement traduisibles. En voici toutefois quelques extraits :
Nous exprimons notre sincère gratitude au gouvernement des Etats-Unis pour ses chaleureuses paroles (...) Dans un esprit de réciprocité, nous supportons les aspirations de millions d'Américains pour un meilleur futur. Nous croyons que seul un dialogue inclusif permettra à la nation américaine de s'unir en ces temps difficiles. Dans un geste de bonne volonté, le gouvernement biélorusse est prêt à offrir son entremise et apportera toute l'aide nécessaire.
Malgré les deux siècles d'independance des Etats-Unis, les récents événements montrent que la lutte pour la liberté persiste dans ce pays. Actuellement, des millions d'Américains de tous âges se dressent pour déterminer la destinée de leur pays. Dans leur tentative de se faire entendre, beaucoup payent un prix élevé, l'administration utilisant la violence et les irrégularités électorales pour les faire taire (...)
Nous admirons le courage et la détermination de héros comme J. Assange, E. Snowden et Ch. Manning qui ont tout sacrifié par idéal de la liberté et de l'harmonie au sein de la société américaine (...)
La Biélorussie a l'espoir qu'un jour, les citoyens des Etats-Unis pourront marcher autour du Capitole sans être arrêtés (...)
Nous ne pouvons ignorer l'aide généreuse des Etats-Unis dans l'organisation de nos élections. Nous étudierons avec attention les indéniables réussites du système électoral américain, comme le vote par correspondance.
Aux dernières nouvelles, Joe l'Indien en a raté une nouvelle marche...
Au-delà de l'ironie mordante, le ton employé semble indiquer une confiance inédite parmi l'équipe Loukachenko. Il est vrai que la campagne de contestation a perdu sa dynamique et que l'égérie du système impérial, la douce Svetlana, a du mal à se faire entendre. Le moustachu de Minsk est désormais à peu près sûr de pouvoir finir son mandat.
Terminons sur une nouvelle qui ravira les passionnés d'aviation. L'inénarrable F-35 de l'US Air Force, au doux surnom de Dinde volante, a déjà été l'objet de nombreuses moqueries qui, malheureusement pour le volatile en question, sont justifiées. A leur corps défendant, nos irrévérencieuses Chroniques n'ont pu s'empêcher, à l'occasion, de revenir sur ces aléas...
En février 2020 par exemple :
A tout saigneur (saignée en l'occurrence) tout honneur, la dinde volante n'y est toujours pas. Fin janvier, un rapport du Pentagone a révélé que le F35, programme qui devrait coûter au total la somme astronomique de 1 000 milliards de dollars, connaît toujours une foule de problèmes. Entre autres choses, pas moins de 873 défauts logiciels ont été détectés, certes en léger mieux par rapport à 2018 où 917 failles avaient été décelées. Cerise sur le gâteau, le canon est mal aligné et incapable de viser correctement ! Tout simplement "inacceptable' ont déclaré les testeurs du Pentagone.
Les problèmes du F35 sont proverbiaux et le site Defense News y consacre même un tag. Et pourtant, en bons petits soldats de l'empire, les alliés/vassaux se ruent pour l'acheter et le carnet de commande ne désemplit pas : Japon, Australie, Pologne, Royaume-Uni... Un comportement qui fait fortement penser aux pétromonarchies du Golfe, achetant des tonnes d'équipement inutile au protecteur américain pour faire tourner les usines du Kansas ou de l'Arizona.
Deux mois plus tard :
Never twice without thrice. DC la Folle doit, bien malgré elle, méditer cet adage en apprenant, troisième désillusion, que la dinde volante fait encore des siennes. Un article d'Opex360 nous l'explique, délicieusement titré "Le Pentagone a réglé cinq lacunes graves du F35 mais en a trouvé quatre nouvelles" ( ! )
Un mois plus tard sonnait l'hallali :
Et puisque nous parlons de bouffonnerie, accueillons comme il se doit la dinde volante. Le mois dernier, nous revenions sur les énièmes et énormes déficiences du F35. Ce fiasco exorbitant et retentissant fait les délices des sites spécialisés et nos Chroniques l'ont abordé à plusieurs reprises.
La pompe à perfusion de la dinde comateuse nous a donné quelques nouvelles et elles ne sont guère glorieuses. Les F35 B et C, destinés à la Navy et aux Marines, ne peuvent durablement dépasser la vitesse du son... sans se décomposer. Le problème étant insoluble, le Pentagone a tout simplement jeté l'éponge et demande maintenant aux pilotes de limiter les vols à plus de Mach 1 !
Nous pensions avoir touché le fond mais, tel le feuilleton du Nord Stream, chaque mois nous apporte un nouveau rebondissement. A la différence du tube, cependant, les informations concernant le F-35 sont à sens unique : celui d'une interminable descente aux enfers. Et le dernier épisode est à pleurer de rire :
Par esprit de compassion et de solidarité, nous nous passerons cette fois-ci de commentaires...