Non, chers lecteurs, nous n'allons pas parler d'amours contre-nature mais de la Biélorussie, où le Kremlin, ayant lentement et sûrement avancé ses pièces, commence à voir la situation se présenter sous un aspect avantageux. C'était prévu :
La modestie de votre serviteur dût-elle en souffrir, il semblerait que les Chroniques aient eu une nouvelle fois raison avant tout le monde.
En mai, alors que le grand public n'était même pas au courant des élections à venir en Biélorussie et du chaos qui en découlerait, nous avertissions :
Le Kremlin vient peut-être de se lasser définitivement de Loukachenko, d'autant plus que le sémillant moustachu n'a pas désavoué les appels du pied de l'OTAN en février dernier, quelques jours après avoir reçu en grande pompe le pompeux Pompeo à Minsk. Cette tactique habituelle pour faire monter les enchères commence sans doute à exaspérer Moscou. Ceci pourrait expliquer une petite nouvelle passée inaperçue mais susceptible de peser lourd à l'avenir sur cette case importante de l'échiquier eurasiatique.
Les prochaines élections présidentielles auront lieu fin août et un nouveau candidat est apparu. Le nom de Viktor Babariko ne vous dit sans doute rien mais, tout récemment, il était encore président du conseil d'administration de BelGazpromBank qui, comme son nom l'indique, est liée au géant gazier russe. S'il se défend d'être l'homme de Moscou, son parcours professionnel doit tout de même instiller quelques doutes dans l'esprit de Pompeo & Co.
Depuis, la Biélorussie fait les gros titres de la MSN mais, comme à son habitude, celle-ci n'évoque qu'une partie du problème, celle qui l'arrange : Thikhanovskaïa est portée aux nues tandis que l'opposition pro-russe est totalement passée sous silence. De l'autre côté, une certaine presse alternative a pris fait et cause pour Loukachenko, vu comme un héroïque Astérix des temps modernes - ça tombe bien, ils portent tous les deux la moustache -, oubliant au passage que l'idiot du village (gaulois ?) s'est embourbé lui-même.
Au-delà de ces inepties de part et d'autre, ce que nous avancions demeure plus d'actualité que jamais et certains observateurs commencent enfin à l'entrevoir. C'est par exemple le cas du site World Geostrategic Insights qui vient de publier un article dont le titre résume tout : « Viktor Babariko va-t-il devenir le successeur pro-russe de Loukachenko ? » Une question qui met au supplice le script des médias tant officiels qu'alternatifs, mais dont le fidèle lecteur du blog a eu la primeur presque mondiale il y a cinq mois, quand ceux qui connaissaient le futur candidat se comptaient sur les doigts de la main en dehors du monde russophone.
Dans l'avant-dernier billet, daté du 10 octobre, nous rapportions :
Loukachenko a créé la surprise en allant à la rencontre d'opposants emprisonnés dans un centre de détention, dont l'ami Babariko. Le Kremlin a-t-il forcé la main du moustachu pour replacer l'opposition qui lui convient au centre de la scène ? On ne serait pas surpris de l'apprendre...
C'est peu ou prou ce qu'affirme l'article cité plus haut, qui subodore une entente entre Loukachenko et Babariko pour une transition en douceur, au travers d'une réforme constitutionnelle. Le tout, évidemment, sous l’œil attentif du Kremlin qui cherche à rapprocher les deux poulains sur lesquels il a misé.
Reste à savoir quand et comment se déroulera cette transition. Elle n'est sans doute pas pour tout de suite mais son heure viendra. De nouvelles élections, libres cette fois, placeraient Babariko en position idéale. Opposant de la première heure, emprisonné, il présente des états de service irréprochables aux yeux des anti-Loukachenko. Mais il n'a pas non plus participé à certains excès d'une frange des manifestants ni aux appels infantiles de Tikhanovskaïa à boycotter son propre pays, ce qui sera bien vu par la partie de la population, non négligeable, qui est restée fidèle au régime ou tout simplement neutre.
On commence à y venir et c'est ce qu'entrevoit également le pourtant peu russophile BNE IntelliNews...
Le 27 novembre, Loukachenko a surpris son monde : « Je ne serai plus président une fois la nouvelle Constitution adoptée ». Certes, comme nous le disions plus haut, ce n'est sans doute pas pour tout de suite, mais cette déclaration du moustachu intervient deux jours après sa rencontre avec Lavrov, au cours de laquelle le MAE russe lui a gentiment mais fermement rappelé de « tenir sa promesse ».
Moscou, qui a fait du départ à terme de Louka son objectif, ne lâche rien, d'autant plus que les manifestations continuent, insuffisantes pour renverser le régime, suffisantes pour empêcher un retour à la normale. L'ours commence à s'impatienter et on le comprend fort bien dans les cercles de l'opposition.
Même cornaquée par des conseillers impériaux, Tikhanovskaïa sent peut-être elle aussi le vent tourner et lance soudain des œillades à Vladimirovitch : « J'aimerais lui parler et les Biélorusses le veulent aussi ». Elle évoque le « désir de construire un futur commun » tandis que son Conseil de Coordination souhaite une « coopération économique poussée avec la Russie » et assure qu'il ne s'oppose pas au fameux accord d'Union entre les deux pays.
En un mot...