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Nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises sur ce blog de montrer l'étonnante liberté de ton de la presse israélienne, qui n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat là où sa consœur occidentale se noie dans l'auto-censure. Comble de la schizophrénie, ceci est particulièrement vrai quand des révélations mettent Tel Aviv en difficulté : la première ne cache pas grand chose ; la seconde, plus royaliste que le roi, bégaie, chancèle et finit par enfouir sa tête dans le sable.

Aussi, ne vous attendez pas à trouver un mot dans notre bonne MSN "libre et démocratique" du scoop qui fait actuellement la Une de tous les quotidiens israéliens. Tout est dit dans le titre :

Sans surprise, nos courageux plumitifs préfèrent regarder ailleurs tandis que les Démocrates, si prompts à hurler à l'ingérence russe, sont totalement atones. Le grand méchant n'est pas l'ours moscovite, où va-t-on ma bonne dame...

Si les habituels blablateurs se font soudain très discrets, une institution traditionnellement silencieuse vient par contre de l'ouvrir de manière assez tonitruante. La Grande muette parle enfin et son message a dû être reçu avec ébahissement du côté de Bruxelles et de Washington.

Avant d'y venir, attardons-nous sur un instant sur un petit point historico-culturel fort intéressant. Comme chacun sait, il s'agit du surnom de l'armée française. Cette expression est souvent associée au devoir de réserve, qui interdit aux militaires d’exprimer publiquement leurs opinions politiques. Il n’en est rien. La formule remonte en réalité aux débuts de la IIIe République lorsque, méfiant envers les tendances monarchistes des officiers, Adolphe Thiers interdit purement et simplement le droit de vote aux militaires qui devenaient ainsi, électoralement parlant, muets. Pour la petite histoire, c'est De Gaulle qui instaura leur droit de vote en 1945... un an après celui des femmes.

Qu'a donc dit la grande muette pour provoquer des picotements au QG de l'OTAN ? Là encore, un titre vaut tous les discours :

Diantre ! Regroupés au sein du Cercle de réflexion interarmées, une dizaine de généraux ayant quitté le service actif vient de publier une longue tribune qui fera date :

Defender 2020, le prochain exercice militaire de l’OTAN, soulève un débat majeur. Quand bien même on craindrait les « cyber-intrusions » russes ; même si, pris de court par le retour populaire de la Crimée dans le giron russe, les Européens gouvernés par l’Amérique furent tétanisés par l’habileté de Poutine, il n’en reste pas moins qu’organiser des manœuvres de l’OTAN, au 21ème siècle, sous le nez de Moscou, plus de 30 ans après la chute de l’URSS, comme si le Pacte de Varsovie existait encore, est une erreur politique, confinant à la provocation irresponsable. Y participer révèle un suivisme aveugle, signifiant une préoccupante perte de notre indépendance stratégique. Est-il possible que la France s’en dispense ?

Le surgissement d’un fléau planétaire qui confine près de 4 milliards de Terriens, éclairant d’une lumière crue les grandes fragilités de l’humanité, pourrait contribuer à nous débarrasser des vieux réflexes de guerre froide. Faisant soudain peser une menace existentielle, ce fléau transfrontalier hiérarchise les priorités stratégiques, dévoile la futilité des anciennes routines et rappelle le poids de notre appartenance à l’ensemble eurasiatique, dont la Russie est le pivot ancestral.

Certains peuvent redouter de choquer nos partenaires de l’Est européen encore accablés par les souvenirs du rideau de fer. Ils oublient cependant qu’en 1966, il y a plus d’un demi-siècle, Charles de Gaulle dont tout le monde se réclame, mais que personne n’ose plus imiter – sauf en posture - , avait purement et simplement signifié à l’allié américain à qui l’Europe et la France devaient pourtant leur survie, qu’il n’était plus le bienvenu à Fontainebleau. C’est que le « Connétable », ayant chevillé à l’âme l’indépendance du pays, n’avait pas oublié qu’en 1944 Roosevelt avait l’intention de mettre la France sous tutelle administrative américaine (...)

54 ans après la brutalité du panache stratégique gaullien, le processus est un renoncement. Aujourd’hui, alors que le pouvoir a abandonné à Bruxelles et à la Banque Centrale Européenne une partie de sa marge de manœuvre régalienne, en échange de la construction d’une Europe dont la voix peine à se faire entendre, quand on écoute les affirmations d’indépendance de la France, on est saisi par l’impression d’une paranoïa. La contradiction diffuse le sentiment d’un « théâtre politique » factice, probablement à la racine d’une désaffection électorale, dont l’ampleur est un défi pour notre démocratie.

Enfin, pour un pays européen déjà sévèrement frappé par d’autres menaces, dans une Union menaçant de se déliter, alors que le voisin grec est confronté à un défi migratoire lancé par le Grand Turc membre de l’Alliance, mais cependant engagé dans une stratégie de retour de puissance par le truchement d’une affirmation médiévale religieuse clairement hostile, aller gesticuler militairement aux ordres de Washington aux frontières de la Russie qui n’est depuis longtemps plus une menace militaire directe, traduit pour le moins une catalepsie intellectuelle, confinant à la perte de l’instinct de survie (...)

Ajoutons que les accusations qui, dans ce contexte, où les menaces ont radicalement évolué, soupçonnent l’Amérique de perpétuer une mentalité de guerre froide hors du temps, ne manquent pas de pertinence. Le blocage politique antirusse de toutes les élites américaines confondues s’articule à l’obsession stratégique de perpétuer la raison d’être de l’OTAN, un des principaux adjuvants de la prévalence américaine après 1949 (...)

La Grande muette ne parle pas souvent mais, quand elle le fait, ça déménage et l'on imagine l'ahurissement des vassaux de Washington et autres toutous euronouilliques après la lecture de cette remarquable et remarquée tribune.

Puisque nous parlons de sujétion à l'empire, terminons sur la vraie-fausse guerre du pétrole. Nous avions annoncé au début de la crise qu'entre Riyad et Moscou, le premier à rentrer dans le rang serait le chameau. Bingo, si l'on en croit un convaincant article de Reuters qui, indirectement, dépeint d'ailleurs sous un jour peu favorable la grosse légume pétromonarchique.

Selon les sources, le Donald aurait menacé MBS de retirer ses troupes d'Arabie saoudite si celle-ci ne coupait pas les vannes et ne trouvait pas un accord au sein de l'OPEP. Et la dépêche de continuer : "Le leader de facto du royaume était si surpris qu'il a ordonné à ses assistants de quitter la pièce afin de continuer la conversation en privé". Paniqué, le Seoud a fini par se rendre aux arguments américains. Maître, ne nous laisse pas seuls face à l'Iran...

S'il est impossible de vérifier la véracité du déroulé de la discussion, la chose est très vraisemblable. La poltronnerie des pétromonarchies du Golfe, dont les armées Potemkine sont bourrées de gadgets achetés à prix d'or, est proverbiale. Incapables de se battre, comme on le voit au Yémen, elles reposent principalement sur l'argent et le mercenariat. La Saoudie, dont le budget militaire est cinq fois plus élevé que le budget iranien, a préféré baisser pavillon et se lover confortablement dans les bras de tonton Sam.

Cela n'empêche pas le schiste US de s'écrouler (la moitié des puits ont fermé depuis sept semaines). Ni, par ailleurs, la Chine d'augmenter ses importations de pétrole russe au détriment de Riyad dans un geste concret et symbolique de solidarité eurasienne.

Tag(s) : #Europe, #Etats-Unis, #Moyen-Orient, #Pétrole

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