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La poussière commence doucement à retomber, mais l'image reste toujours aussi floue et nous ne sommes pas plus avancés. Les observateurs restent perplexes, désarçonnés presque, même si à peu près tout le monde s'accorde sur le fait qu'il ne reste que deux thèses, celles que nous présentions dans notre dernier billet : entente Trump-Poutine sur le dos de l'Etat profond américain ou changement radical du Donald, finalement happé par le système impérial.

Certains sautent hardiment le pas et prennent parti pour l'une ou l'autre thèse mais, à vrai dire, sans beaucoup d'éléments en main. Pour notre part, contentons-nous pour l'instant de donner quelques pistes de réflexion...

  • Les 36 missiles manquants

C'est l'un des aspects les plus curieux de l'affaire. Les Américains, tout pleins de leur gloriole habituelle, ont affirmé que 58 des 59 Tomahawks lancés avaient touché au but et que la base était "presque entièrement détruite". En réalité, les avions syriens redécollaient de la même base quelques heures après seulement et les Russes ont démontré, preuves à l'appui (photos et vidéos de drones, cartes), que seuls 23 missiles étaient arrivés à bon port. Où diable sont donc passés les 36 autres ?

Première hypothèse : ils se sont perdus dans la nature. Même si le Tomahawk est un vieux missile, cela paraît quand même tiré par les cheveux. 39% de réussite serait une gifle pour l'armée américaine, surtout face à la redoutable efficacité du Kalibr. Et comment expliquer dans ce cas-là que les autres aient visé si juste, c'est-à-dire sur les cibles secondaires de la base ?

Deuxième hypothèse : ils ont été descendus ou détournés par les systèmes anti-missiles russes. Là, ça commence à devenir alléchant. Dans une intéressante interview, d'où transpire d'ailleurs une sorte de tranquille sérénité, des spécialistes militaires russes affirment que la défense anti-aérienne syrienne n'était pas (encore) capable de résister au barrage de Tomahawks. Si on lit entre les lignes, on a comme l'impression d'un message subliminal : c'est nous qui avons dû le faire...

Un morceau de missile retrouvé dans un jardin de Tartous pourrait indiquer que les systèmes russes sont effectivement passés à l'action (rappelons que la ville est le siège de la base navale, évidemment protégée par des Pantsir, S-300 et S-400). Or une partie des systèmes de défense n'étaient pas activés, notamment les S400 apparemment. Si rien qu'avec quelques Pantsir, et en ayant sans doute sciemment laissé passer quelques projectiles, les Russes ont réussi à dégommer plus de 60% de la salve américaine, que sera-ce maintenant que les "monstres" entrent en mode combat ?

Dans ces conditions, on comprend mieux l'assurance russe. Fin de l'accord sur la prévention des incidents dans le ciel syrien (ce qui, rappelons-le, fera de tout avion US mais aussi israélien une cible potentielle), discours assez virulent du pourtant placide Medvedev, tirs sur un drone américain par l'armée syrienne et, aujourd'hui, avertissement irano-russe très sec si Washington franchit à nouveau ce qui est maintenant qualifié de "ligne rouge" : « Désormais, toute agression, quel qu'en soit l'auteur, fera l'objet d'une réponse par la force – et les Etats-Unis connaissent les moyens dont nous disposons pour cela ». Ambiance, ambiance...

Tout cela ne semble pas corroborer l'idée d'une entente poutino-trumpienne sur le dos du système impérial, même si certains pensent qu'il s'agit ici encore d'une collusion secrète. Voir par exemple cette thèse quelque peu iconoclaste mais néanmoins intéressante qu'un lecteur a eu l'obligeance de porter à mon attention :

En substance, il y est dit que la Russie voire même l'Iran auraient pu tester leurs systèmes anti-missile sur les Tomahawks en guise d'apéritif, Tomahawks sciemment mis à disposition par le Donald qui préfère s'en débarrasser dans une opération grand spectacle plutôt que de les démanteler. L'idée est séduisante et rejoindrait le fait qu'une partie des missiles soient arrivés à bon port sur des cibles ne gênant pas l'armée syrienne tandis que l'autre (les 36) a été détruite par les Russes. Chacun y retrouve son compte en quelque sorte. Sauf que cela ne cadre pas vraiment avec l'atmosphère générale qui se dégage de toute cette affaire...

  • Trump est mort, vive Cretinho ?

Un passionnant article du toujours très informé Robert Parry dévoile de l'intérieur la prise de décision. Il y aurait eu une vive lutte dans les hautes sphères du pouvoir et une gêne évidente parmi la communauté du renseignement, persuadée de l'innocence d'Assad dans l'événement chimique. A la Maison Blanche, un combat à couteaux tirés eut lieu entre d'un côté Steve Bannon et Jared Kushner (!) et, de l'autre, le conseiller à la sécurité nationale, le néo-con McMaster. Finalement, Cretinho s'est rangé à l'avis de la clique de ce dernier, souhaitant alléger la pression du Deep State à son égard.

Arrêtons-nous un instant sur Kushner, gendre juif orthodoxe de Trump et sioniste fervent, qui a pourtant pris le parti de son ennemi personnel Bannon et conseillé à son beau-père de tout déballer sur la Syrie : l'intox de la Ghouta et la manip de Khan Cheikhoun la semaine dernière ! Le népotique Trump n'allant pas se débarrasser de sa famille, le Jared devrait selon toute vraisemblance rester à la Maison Blanche et, s'il n'est pas lui-même récupéré, tout espoir n'est donc pas tout à fait perdu pour le futur. D'autant que Bannon et Kushner ont enterré la hache de guerre, peut-être rapprochés par l'affaire syrienne d'ailleurs.

Mais, malgré l'optimisme de certains, on ne peut que craindre que le marais ait gagné la partie, au moins temporairement. Tillerson devient franchement pesant, Goldman Sachs fait une OPA sur la Maison Blanche, certains anciens conseillers s'en mêlent (comme ce Walid Phares qui propose de créer une "Syrie libre" dans l'est une fois libéré de Daech), on prépare sans rire des sanctions contre Damas et la harpie représentante à l'ONU se comporte en Samantha Powers bis. En passant, revoyons pour le plaisir comment cette tête-à-claque s'est fait démolir sur pied à l'ONU par le représentant bolivien :

Ce bon moment ne doit cependant pas nous cacher la tendance qui se profile à Washington. Les soutiens traditionnels de Trump ne s'y trompent d'ailleurs pas : c'est une véritable hémorragie.

Des blogueurs influents l'abandonnent, des soutiens de la première heure le quittent, son retournement de veste est moqué, l'Alt-Right commence à manifester contre lui, son ami Farage s'en détache et un groupe de hackers (ou un nouveau lanceur d'alerte solitaire, on ne sait pas très bien) a même mis en ligne des mots de passe secrets de la NSA pour protester contre "la trahison de Trump". En un mot comme en cent :

L'historien John Laughland se lâche dans un article de haute volée. Extraits :

Le revirement de 180 degrés du président Trump sur la Syrie met fin à toute illusion sur sa présidence. Loin de représenter une révolution, son élection l'an dernier n'est que la énième preuve que le processus démocratique est aujourd'hui incapable d'effectuer de vrais changements dans la vie politique des grands Etats, tant les grandes lignes de cette politique sont fixées par un appareil de l'Etat qui, lui, ne change jamais (...)

La politique du chaos, qui a caractérisé l'action des présidents Obama, Clinton et Bush fils, va donc continuer, sans interruption, sous Trump. Les frappes aériennes sont, une fois de plus, un outil pour donner l'apparence d'une virilité en réalité inexistante. Avec son attaque intempestive, l'homme fort de la Maison blanche s'est montré au contraire un homme de paille, une girouette sans substance qui vient de faire de lui la risée du monde. Une fois de plus, les électeurs ont été trompés par un homme qui, se présentant comme un révolutionnaire, une fois élu fait le contraire de ce qu'il a promis. Jamais la prédiction lugubre du prince de Lampeduse n'aura été si vraie : il fallait que tout change pour que rien ne change.

Game over, Trumpie ? L'histoire récente est tellement pleine de rebondissements qu'il convient de garder un minimum de prudence. Il n'est d'ailleurs pas impossible que cet impressionnant abandon de ses soutiens les plus déterminés, ce sauve-qui-peut généralisé de sa base ne provoque en lui une réaction. Il ne peut pas ne pas savoir ce qui se passe, il ne peut pas ne pas connaître l'immense déception de ceux qui ont voté pour lui...

Mais quand bien même il reviendrait à de meilleurs sentiments, n'est-ce pas trop tard ? Il a relancé la machine de l'Etat profond et, comme nous le disions il y a trois jours, Cretinho restera désormais prisonnier de son discours. Il aurait pu dévoiler à la face du monde l'intox des "attaques chimiques" et par là-même démolir un pan entier de la rhétorique du système impérial. Cette chance unique est passée...

Tag(s) : #Moyen-Orient, #Russie, #Etats-Unis

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