Le jeu de mots est facile mais l'armée syrienne vient de réaliser une excellente opération à Deir Hafer, l'un des verrous du nord, en prenant la ville quasiment sans combattre. Les petits hommes en noir sont en débandade dans la région depuis la chute d'Al Bab, où les Turcs avaient si chèrement ferraillé pour le plus grand bonheur (et profit !) de Damas. Désormais, le nord est sécurisé et la retraite daéchique ne peut que s'accélérer afin de ne pas être pris entre deux feux.
Les YPG kurdes et l'US Air Force ont en effet mené une audacieuse opération aéroportée derrière les lignes de défense de l'EI à l'ouest de Taqbah. Une tête de pont a été établie, coupant la route Deir Hafer-Raqqa et permettant d'attaquer la capitale califale par le nord, l'est et l'ouest :
Rappelons que c'est sur la route de Taqbah que l'armée syrienne avait connu une terrible désillusion l'année dernière. Avec une partie d'Alep encore aux mains des djihadistes, un territoire en peau de léopard, les axes de communication non sécurisés et l'absence d'alliance avec les Kurdes, les conditions n'étaient sans doute pas encore réunies à l'époque pour les loyalistes. Désormais, elles le sont même si ce sont les Kurdes qui mettent la main sur le point stratégique.
Dans son palais, le sultan, déjà passablement exaspéré par le rapprochement russo-kurdo-américain et les rumeurs chaque fois plus consistantes de coopération entre Russes et Kurdes, doit friser l'attaque d'apoplexie. L'on note d'ailleurs un certain rafraîchissement entre Ankara et Moscou.
Des bisbilles agricolo-douanières ressurgissent soudain. Après la mort d'un soldat turc descendu sur le territoire turc par un sniper kurde du canton d'Efrin, le chargé d'affaires russe a été convoqué. Parmi les griefs ottomans : la présence militaire russe à Efrin (ce qui semble confirmer les informations dont nous faisions état il y a trois jours), des généraux russes photographiés avec des insignes YPG sous la photographie d'Ocalan (le fameux leader du PKK en prison) ou encore le bureau du PYD ouvert à Moscou après l'incident du Sukhoi et toujours en fonction. Sur ce dernier point, Erdogan ne peut s'est prendre qu'à lui-même...
Mais on peut comprendre que, voyant la situation complètement lui échapper, il frôle la crise de nerf. Peut-il aller plus loin ? Sans doute pas... La crise gagne la Turquie, le chômage monte et le sultan, dont la popularité est de moins en moins assurée, ne peut se permettre de se mettre à dos la Russie, ni économiquement ni stratégiquement. En un mot, Erdogollum est coincé.
Revenons à nos moutons de Taqbah... Si le commandant américain a fait remarquer que "le régime et la Russie ne seront pas contents car ils voulaient contrôler la ville", cela semble plutôt participer de l'opération de com'. En réalité, la concomitance des offensives sur Deir Hafer et Taqbah n'a échappé à personne. Quelques heures après le parachutage kurdo-US, les combattants daéchiques de Deir Hafer, menacés d'être coupés de Raqqa, ont dû sonner la retraite, laissant la ville à l'armée syrienne. Une coopération syro-kurde et, derrière, américano-russe ne serait pas pour nous surprendre...
Toujours est-il que l'offensive kurde encerclant Raqqa a le mérite d'obliger Daech à se redéployer et à dégarnir ses autres fronts. Les loyalistes assiégés à Deir ez Zoor depuis des années vont pouvoir souffler avec le départ de plusieurs bataillons de l'EI. De même, après la prise de Deir Hafer susmentionnée, les troupes d'élite des Tiger Forces ont été envoyées d'urgence au nord de Hama où les djihadistes "modérés" de l'Idlibistan ont lancé l'offensive. Ainsi qu'à l'est de Damas où l'armée syrienne, après avoir été un temps en difficulté, regagne le terrain perdu.
Ces attaques ne doivent pas leurrer et s'apparentent plutôt à un chant du cygne barbu. Georges Malbrunot, l'un des moins malhonnêtes observateurs de la MSN, ne s'y trompe pas :
Avant la reprise, jeudi, des négociations de Genève, un sentiment de démobilisation a gagné les anti-Assad.
Le dernier assaut des rebelles contre Damas et le terrain repris par les opposants de Bachar el-Assad autour de la ville de Hama ne doivent pas faire illusion : «L'insurrection est laminée et ses combattants démobilisés», constatait le chercheur Thomas Pierret, après la défaite d'Alep, fin décembre. «Le pouvoir continue de gagner du terrain», renchérit-il, aujourd'hui. «Ce qui ne l'incitera pas à faire la moindre concession» à la table des négociations qui reprennent ce jeudi à Genève sous l'égide de l'ONU.
Au-delà des habituels éléments de désinformation - les "opposants" et "rebelles" cités sont en réalité Hayat Tahrir al-Cham, la fédération d'Al Qaeda -, le constat s'impose. Les djihadistes ont été assommés à Alep et le combat est désormais perdu. Si personne ne peut encore parier sur la durée de la guerre, son issue ne fait plus beaucoup de doutes.
Le système impérial a encore perdu...