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La Turquie dans l'oeil du cyclone

Le sultanat d'Erdogan semble décidément aller de Charybde en Scylla et pas une semaine ne passe sans une nouvelle catastrophe.

A force de jouer avec le feu islamiste, Ankara a fini par se brûler. L'exemple d'Al Qaida créé par les Etats-Unis au début des années 80 avant de se retourner, dans un mouvement très oedipien, contre son créateur un certain 11 septembre 2001 n'aura donc pas suffi. Les mêmes ou presque ont cofondé Daech qui mord maintenant la main de son maître. L'attentat perpétré par l'EI - ô fils ingrat - à Istanbul risque de plomber pour longtemps le tourisme, déjà sérieusement ébranlé par les sanctions russes. La Turquie escomptait dans quelques années 50 milliards d'euros en recettes touristiques ; c'est mal parti...

Dans le Sud-est du pays, le régime est embringué dans une véritable guerre civile avec les Kurdes et le PKK a lancé une nouvelle série d'attaques. Voir des ennemis aussi irréductibles que le PKK et Daech, qui se livrent une lutte sans merci dans le nord syrien, s'en prendre tous les deux simultanément à la Turquie ne manque pas de sel.

Un peu à la rue, le sultan a arrêté 21 universitaires dont le crime a été de... signer une pétition en faveur de la paix. Les chefs d'inculpation sont délicieusement staliniens : "propagande terroriste" et "insulte aux institutions et à la République turques". Ne vous attendez évidemment pas à trouver un seul mot de cette histoire dans la mafia médiatique presse libre occidentale. Erdogan est notre allié (c'est en tout cas ce que Washington nous assure...)

Cerise sur le loukoum, Ankara n'en finit pas de regretter l'invraisemblable bourde du Sukhoi abattu. Le mois dernier déjà, la BERD prévoyait, dans un scénario assez optimiste, une ponction de 0,3 à 0,7% sur le PIB turc du fait des sanctions russes, d'ailleurs encore étendues le 30 décembre. Certains analystes, comme l'ancien représentant commercial turc en Russie, parlent maintenant de 12 milliards de pertes annuelles pour l'économie turque.

Surtout, dans ce conflit, Moscou a la haute main grâce au gaz. Quelques chiffres d'abord :

  • La Turquie importe 99% du gaz qu'elle consomme, dont 55% de Russie.
  • 48% de ce gaz est utilisé pour la production d'électricité, 25% pour l'industrie et 20% pour la consommation domestique, ce dans les 81 provinces.

Si Gazprom décide de fermer le robinet, 20% de la production d'électricité du pays serait affectée, l'industrie partiellement paralysée et la majorité des foyers touchés. Sans doute faut-il voir là la raison de la relative modération des réactions d'Ankara face aux injures russes qui pleuvent depuis deux mois (la meilleure étant le désormais fameux "lèche-cul"). On imagine la rage du sultan ravalant sa fierté...

Mais Moscou ne semble pas pressé de couper le gaz ; Poutine préfère garder la tête froide et toutes les cartes en main. D'abord, les exportations d'or bleu vers la Turquie apportent d'appréciables revenus en ces temps de vache maigre. Surtout, c'est la crédibilité de la Russie comme fournisseur fiable qui est en jeu, alors que le Nord Stream II est plus ou moins accepté par l'UE. Enfin, il n'a échappé à personne au Kremlin que la balance commerciale russo-turque est largement bénéficiaire à la Russie et qu'il ne faut peut-être pas tuer la poule aux oeufs d'or.

Le gaz continue donc à couler via le Blue Stream (16 Mds de m3) et la route ouest via les Balkans (14 Mds de m3). Et c'est là que les Russes ont toutes les cartes en main : les contrats de livraison se terminent respectivement en 2025 et 2021. Si d'ici là, la Turquie n'a pas trouvé de sources alternatives (et il n'en existe aucune pour de telles quantités), elle devra aller à Moscou faire la danse du ventre devant l'ours qui se contentera d'attendre et de faire monter les enchères. Enième épée de Damoclès au-dessus de la pauvre sultane...

Tag(s) : #Moyen-Orient, #Gaz, #Russie

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