Rien ne va plus pour les Talibans en Afghanistan... Non pas que le mouvement soit sur la défensive face aux troupes gouvernementales, bien au contraire. Le problème est que l'on ne peut justement plus vraiment parler de mouvement tellement ça part dans tous les sens.
Nous étions restés fin octobre sur une offensive talibane généralisée, parfois d'ailleurs doublée d'attaques de l'Etat Islamique qui monte en puissance dans le Royaume de l'insolence. Mais nous avions également vu que la mort du Mollah Omar avait provoqué d'immenses remous au sein de la mouvance taleb, le nouveau chef, le Mollah Mansoor, n'étant pas accepté par une partie des combattants. Depuis, la fragmentation s'est amplifiée dans des proportions parfois étonnantes.
Ainsi, une faction dissidente est allée jusqu'à se faire le champion du... droit des femmes ! Ce n'est pas une blague. L'ancien gouverneur Mohammed Rasool, proche du Mollah Omar, a déclaré être favorable à l'éducation et au travail des femmes ainsi qu'à des négociations de paix avec Kaboul (après le départ des Américains, condition sine qua non qui reste commune à tous les Talibans).
C'est d'ailleurs ce même Rasool qui avait été nommé nouveau leader du mouvement taleb par certains groupes n'acceptant pas la nouvelle direction. Il y a un mois, de violents combats ont même eu lieu dans le sud du pays entre ces deux factions rivales, faisant la bagatelle de 50 morts dans les deux camps.
Pire! selon les dernières informations, le chef contesté, Mollah Mansour, a été gravement blessé au cours d'une fusillade lors d'un différend entre commandants talibans. Son sort est pour l'instant inconnu : les autorités afghanes annoncent sa mort, les Talibans "officiels" démentent. Mais une chose est sûre : son incapacité, temporaire ou définitive, à être aux commandes favorisera le fractionnement grandissant du mouvement. Nous en saurons plus dans quelques mois, après la traditionnelle trêve hivernale.
Le tout prend place dans le contexte de l'influence grandissante de Daech en Afghanistan, qui sera d'ailleurs sans doute amplifiée par les échecs et la disparition programmée du califat syrakien.
Au lendemain de l'annonce en juillet de la mort de Mollah Omar, nous écrivions :
Ce qu'on appelle "islamisme" est tout sauf uni. Sans entrer dans le détail des innombrables écoles et obédiences qui passent leur temps se chamailler - et quand ces gens-là se chamaillent, c'est généralement à la kalachnikov -, on peut très schématiquement diviser le mouvement en deux : les islamistes "nationaux" et les islamistes "internationalistes". Les premiers ont un agenda purement national et se moquent comme d'une guigne des rêves de califat universel ou de terrorisme global : Hamas palestinien, Talibans afghans et pakistanais, Armée Islamique en Irak dans les années 2000... Les seconds, djihadistes planétaires, passent d'un pays à l'autre, d'un combat à l'autre : Al Qaida et plus récemment Etat Islamique. Ces deux branches de l'islamisme n'ont jamais fait bon ménage et ça ne date pas d'hier. On se rappelle par exemple durant la décennie 2000 les combats enragés entre Al Qaida en Irak et l'Armée Islamique d'Irak ou le massacre de centaines de djihadistes qaédistes par les Talibans dans les zones tribales pakistanaises. Aujourd'hui, l'Etat Islamique s'en prend régulièrement aux rebelles syriens pourtant islamistes eux aussi, le Hamas combat l'émergence de l'EI dans la bande de Gaza, tandis que les Talibans et ce même EI s'envoient des bourre-pifs en Afghanistan. Ce ne sont pas seulement deux mouvements concurrents qui s'affrontent, ce sont deux conceptions du monde, toutes deux islamistes certes, mais très différentes par ailleurs. Penser que les commandants talibans, qui sont avant tout afghans et ont une vision nationale ou régionale de leur combat, vont passer en masse à l'EI après l'annonce de la mort du Mollah Omar paraît quand même tiré par les cheveux...
Les spécialistes sont d'accord sur le fait que les différences idéologiques majeures entre Talibans et EI empêcheront une trop grande porosité entre les deux entités. Mais Daech n'est jamais aussi fort que lorsqu'il profite du chaos général. Or, avec la fragmentation du mouvement taliban, l'incapacité du gouvernement de mettre fin à l'insurrection et les féroces luttes claniques, l'Afghanistan est en voie d'implosion, en plein coeur de l'Eurasie...