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Le grand échiquier

Sur l'échiquier du Grand jeu eurasiatique, certaines cases refroidissent modérément (Ukraine), d'autres restent dans un état stable (Mer de Chine orientale, guerre des pipelines), d'autres brûlent (Syrak et Afghanistan voire Turquie qui s'enfonce dans une instabilité inquiétante). Les tensions passent de l'une à l'autre selon le principe des vases communicants, les Etats-Unis se démenant pour allumer le feu afin de créer des points de fixation, la Russie (et de plus en plus maintenant la Chine) se démultipliant pour les éteindre et continuer l'inexorable marche en avant de l'Eurasie. Tour d'horizon...

Un an et demi après le putsch néo-nazi du Maidan sponsorisé par la CIA, l'Ukraine est au point mort et Poutine a exactement ce qu'il voulait. Redoutable judoka sachant parfaitement utiliser l'impulsivité de l'adversaire pour le faire tomber, il n'est jamais aussi fort que lorsqu'il est sous pression. Le conflit est maintenant gelé, rendant impossible l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN. Au passage, le maître du Kremlin en a même profité pour se servir une petite Crimée à la vanille et sa cerise sur le gâteau : la base navale de Sébastopol. La Russie s'est ainsi enlevée plusieurs épées de Damoclès qui pendaient au-dessus de sa tête et n'a plus à payer une fortune (sous forme de ristournes gazières ou prêts à fonds perdus) la location du siège de sa flotte de la Mer noire.

Les accords de Minsk, que la mafia médiatique occidentale toute à sa guerre de l'information présente comme une épine dans le pied russe, vont en réalité pleinement dans le sens de Moscou. C'est le régime de Kiev sous tutelle américaine qui tente régulièrement de les rendre caducs, par la partie russe qui au contraire réclame leur pleine application.

Pour les Américains, l'Ukraine a été un coup d'épée dans l'eau et ils doivent commencer à s'arracher les cheveux devant ce diable de Poutine qui retourne toujours tout à son avantage. Quant à l'Ukraine elle-même, c'est devenu un invraisemblable merdier sous perfusion constante du FMI qui commence d'ailleurs à trouver le temps long.

Nous avons déjà longuement parlé de la Syrie et de l'Irak, ou Syrak pour les intimes, et des conséquences stratégiques que ces conflits peuvent avoir sur le Grand jeu. Contrairement à la coalition américaine dont les bombinettes n'arrivent pas depuis un an à toucher les centres névralgiques de l'Etat Islamique (on va dire que c'est la météo...), les Russes sont très sérieux dans leur intervention. Certes, les calculs géopolitiques ne sont pas absents : il s'agit d'amplifier la présence russe (base de Tartous et maintenant de Lattaquié, accord militaire avec Chypre, lune de miel avec Le Caire) dans cette nouvelle zone hautement stratégique qu'est devenue la Méditerranée orientale, lieu de passage des pipelines et de découverte récente de grands gisements gaziers. Mais, au contraire de Washington, Moscou n'a jamais porté les islamistes et autres djihadistes dans son coeur et l'intervention en Syrie a réellement pour but d'annihiler l'EI et Al Qaeda, le nouveau chouchou des Occidentaux qui pleurent à chaudes larmes quand les Sukhois bombardent les bases de l'organisation terroriste. Entre parenthèses, je tiens quand même à signaler un article plus honnête que d'habitude dans la presse grand public, le Figaro en l'occurrence :

Des groupes islamistes anti-EI, dont le puissant Ahrar al-Cham, ont repris dans la nuit le village de Tall Soussine (...) L'EI avait réussi vendredi à avancer (...) Les djihadistes du groupe ultra-radical ont profité des frappes russes qui ciblent en priorité la coalition regroupant le Front Al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda, et ses alliés islamistes. (...)

Entre vendredi et samedi à la mi-journée, l'aviation russe a effectué 64 sorties contre 55 cibles de l'organisation Etat islamique en Syrie.

Ah quand même, il n'y aurait donc finalement plus de rebelles "modérés" dans la région... Bien sûr, quelques réflexes pavloviens se font encore sentir (l'EI a bénéficié des frappes russes contre Al Qaeda alors que quelques lignes plus tard, on apprend que les Russes ont fortement bombardé l'EI) mais c'est toujours mieux que l'imMonde.

Revenons à nos avions... Le sérieux de l'intervention russe contraste avec le double jeu américain, ce dont tous les acteurs régionaux prennent conscience, de Bagdad à Tel Aviv.

Un intéressant article du Wall Street Journal mesure l'ampleur de la perte d'influence US au Moyen-Orient : "Jamais les Etats-Unis n'ont compté aussi peu au Moyen-Orient et jamais ils n'ont été l'objet d'un tel dédain de la part de ses alliés ou adversaires". Aïe, ça fait mal...

Politique illisible, double jeu constant qui leur met finalement tout le monde à dos, hésitations, retournements, fiascos irakien et afghan... l'attitude des Américains est à l'opposé du comportement des Russes ou des Iraniens, clairs, droits dans leurs bottes et qui savent où ils vont, ce qui n'est pas passé inaperçu dans les chancelleries moyen-orientales.

Tandis que les amis de Moscou se réjouissent, les alliés traditionnels des Etats-Unis - Arabie Saoudite, Israël, Turquie - font la queue au Kremlin pour avoir une audience avec le nouvel homme fort du Moyen-Orient. Ils n'y obtiennent d'ailleurs pas grand chose (cf. les propositions saoudiennes en juin à Saint-Pétersbourg qui ont été reçues avec un sourire de commisération). Ce qui est en jeu dépasse largement une entente pétrolière avec Riyad pour faire remonter le baril de quelques dollars et ce n'est pas la nouvelle visite du prince héritier ce dimanche à Sotchi qui changera quelque chose.

Les frappes russes font vraiment mal à l'EI et des communications interceptées semblent montrer des signes de panique au sein du califat autoproclamé. Si Moscou arrive à mettre fin au règne de l'Etat Islamique là où les Etats-Unis, pris dans leurs contradictions, ont lamentablement échoué, c'est un changement tectonique considérable des alliances auquel nous pouvons assister.

Russie, Chine, Iran (qui entrera bientôt dans l'Organisation de Coopération de Shanghai) unis en Syrie : l'Eurasie est en marche. Un autre théâtre d'opération est également susceptible d'unifier les principales puissances du continent-monde : l'Afghanistan. Nous en parlions il y a quelques jours, rien ne va plus au royaume de l'insolence. Les Talibans sont à l'offensive partout et voient en plus dans leur rétroviseur l'EI commencer ses opérations. Non contents d'avoir pris Kunduz il y a deux semaines (les rapports sont contradictoires sur qui tient maintenant la ville), les "étudiants de Dieu" mènent attaque sur attaque, dont la dernière en date est un attentat-suicide contre un convoi de l'OTAN à Kaboul même. A ce rythme, le gouvernement afghan risque bientôt d'être aux abois.

Répondant aux demandes pressantes du Tadjikistan terrifié, Moscou va envoyer des hélicoptères d'attaque à sa base d'Ayni pour surveiller la frontière afghano-tadjike. Bien plus intéressant car de portée considérable, un haut responsable de l'état-major russe a préconisé une coordination de l'OCS pour faire face aux menaces que fait peser sur l'Asie centrale la situation afghane. Disons-le tout de suite, ça ne sera pas une sinécure : Inde et Pakistan, les deux nouveaux membres de l'organisation, ont une position diamétralement opposée, Delhi soutenant le gouvernement afghan et Islamabad supportant en sous-main les Talibans. Mais Russie et Chine, le tandem dirigeant de l'OCS, voient d'un très mauvais oeil la contagion islamiste et Pékin a suffisamment d'influence sur le Pakistan pour l'amener à la raison. Après la Syrie, une nouvelle avancée de l'intégration eurasienne grâce à l'Afghanistan ?

Tag(s) : #Russie, #Etats-Unis, #Moyen-Orient, #Asie centrale, #Chine

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