Moins galactique que la saga de George Lucas, la rivalité sino-américaine dans le plus grand océan du globe n'en est pas moins âpre et disputée, avec son lot de surprises et de rebondissements.
Nous sommes revenus dans le dernier billet sur le mano a mano entre Américains et Chinois en Extrême-Orient, les premiers tentant d'enserrer l'empire du Milieu via leur stratégie des chaînes d'îles, les seconds tentant de s'en défaire. Dans ce contexte, on ne sera pas surpris que Pékin tente depuis longtemps de contourner cet endiguement en nouant des alliances de revers.
Il y a quatorze mois, nous expliquions que
les grandes manœuvres ont commencé dans les atolls de rêve du Pacifique, aux noms presque inconnus mais qui pourraient bientôt acquérir une célébrité dont ils se seraient bien passés.
Fin août, l'ancien supremo du Pentagone, Mark Esper, a visité le petit archipel de Palau (en bleu sur la carte suivante), où l'armée US a déjà une présence. Il a été question de l'amplifier pour servir de base arrière à la première chaîne, en cas de conflit avec la Chine.
Point effrayé, Pékin a déjà noué des relations plus qu'amicales avec l'improbable République de Kiribati (en rouge), étalée sur trois groupes d'îles occupant le centre du Pacifique. Pour l'anecdote, c'est le seul pays au monde à être présent sur les quatre hémisphères (Nord / Sud de part et d'autre de l'équateur, Est / Ouest de part et d'autre du 180e méridien, ligne de changement de date).
Pour les Chinois, l'emplacement est plus qu'intéressant, juste au sud d'Hawaï et des bases US. A la vision militaire américaine, ils répondent par l'économie et l'infrastructure, proposant au gouvernement kiribatien, dont les atolls sont menacés par les eaux, de gagner des terres sur la mer et de créer des îles artificielles comme ils l'ont fait en mer de Chine méridionale. Jamais à court d'idée, le dragon offre également d'y créer deux ports.
Les autorités locales sont ravies et les choses vont très vite. En septembre 2019, elles ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan, reconnaissant officiellement Pékin comme seul interlocuteur. Quatre petits mois après, Kiribati signait un accord pour participer aux routes de la Soie, à la fureur de qui vous savez.
Le Grand jeu pacifique continue de plus belle. Au début de l'année, la méga explosion d'un volcan sous-marin au large des Tonga a permis à Pékin de lancer un signal qui n'est pas passé inaperçu. En organisant une grande opération humanitaire à des milliers de kilomètres de chez elle, l'armée chinoise a réalisé une démonstration de force qui a fait sonner quelques alarmes du côté de Washington. Blinken s'est cru obligé de s'envoler rapidement pour aller "rassurer" les alliés US dans la région.
Le même article continue :
L’Australie comme les États-Unis craignent plus que tout l’implantation, à terme, d’une base militaire chinoise dans le Pacifique. En décembre dernier, suite à des manifestations, la Chine a déjà envoyé des policiers instructeurs et du matériel anti-émeutes aux îles Salomon, 712 000 habitants. Cet archipel a reconnu diplomatiquement la Chine, laissant tomber Taïwan en 2019, en même temps que Kiribati (118 000 habitants) .
Les Fidji (895 000 habitants), alliés de Pékin, ont été les premiers dans le Pacifique à reconnaître diplomatiquement la Chine en 1975 qui leur fournit du matériel militaire depuis 2018. Enfin, après l’éruption récente d’un volcan sur une île de l’archipel des Tonga (99 000 habitants), la Chine a montré sa capacité de projection en envoyant rapidement une aide humanitaire par avion et bateaux militaires. Cette influence chinoise grandissante est plus que jamais le défi majeur du Quad.
Et c'est justement des îles Salomon que nous vient la dernière onde de choc. Il y a quelques jours a été divulgué un projet d'accord de sécurité entre l'archipel et Pékin, « de large portée » et contenant « plusieurs dispositions ambiguës et potentiellement ambitieuses sur le plan géopolitique ».
Panique en Australie, shériff océanien de l'oncle Sam, où certains voient déjà les Chinois installer des bases aux Salomon et appellent carrément à envahir l'archipel afin d'éviter « notre crise cubaine des missiles à nous ».
L'argument avancé fait furieusement penser à une certaine situation quelque part dans une certaine partie de l'Europe orientale : « La Chine aura une liberté de navigation entière dans le pacifique sud, des navires avec des missiles de croisère juste là, éventuellement des missiles hypersoniques qui pourront toucher Brisbane en quinze minutes. »
Rappelons que l'Australie a dénoncé avec véhémence l'invasion de l'Ukraine par la Russie qui avait... exactement les mêmes craintes !
Moins alarmistes mais tout aussi préoccupés, d'autres imaginent le dragon installer aux Salomon des mines, des systèmes défensifs et de détection pour perturber les routes maritimes américaines en cas de conflit. Et chacun de rouvrir les vieux livres sur les opérations de la guerre du Pacifique, de consulter les cartes sur la fameuse bataille de la mer de Corail.
Si, à la lecture des termes du projet d'accord - dont la fuite a visiblement été organisée par la faction pro-taïwanaise de l'île - la menace chinoise a en réalité peut-être été exagérée, un envoyé spécial australien s'est tout de même immédiatement envolé à destination de l'exotique Honiara pour tenter d'amadouer le premier ministre salomonien en promettant monts et merveilles.
Avec un résultat mi-figue mi-raisin si l'on en croit le communiqué du gouvernement qui se déclare, avec une belle dose d'ambiguité, « ami de tous et ennemi de personne », mais qui refuse de remettre en question ses liens avec Pékin et continue de susciter la méfiance de Canberra.
A suivre...