La visite surprise de Bachar à Poutine fait beaucoup parler la ménagère de moins de 50 ans et supputer l'observateur attentif. Le président syrien n'étant pas sorti de son pays depuis quatre ans, ce n'est sans doute pas pour deviser aimablement de botanique que les deux hommes se sont vus. Quant à se congratuler des dernières avancées de l'armée syrienne grâce aux bombardements russes, le téléphone est plus rapide.
Fait intéressant, cette rencontre a eu lieu à la requête de Moscou. Qu'a donc bien pu demander/exiger le Kremlin de Bachar ? Si, comme d"habitude dans ces cas-là, la pleine vérité n'émergera que des mois ou des années plus tard, l'on peut raisonnablement penser à deux grands axes :
- militaire. Le fait que le ministre russe de la défense et étoile montante Sergueï Choïgu, ait assisté aux discussions n'est pas passé inaperçu. Nous annoncions il y a deux jours que l'armée syrienne semblait s'être mise à la doctrine tactique russe. Moscou a-t-il demandé à Bachar de placer les généraux syriens sous la coupe de ses conseillers militaires ? Les prochains développements sur le terrain apporteront peut-être une réponse...
- politique. Comme toujours dans le langage diplomatique, le compte-rendu final est assez sibyllin mais donne tout de même une indication intéressante en ce sens que le président russe évoque "la participation de toutes les forces politiques, ethniques et religieuses" syriennes dans le "règlement politique à long terme". Le lendemain, Vladimirovitch a téléphoné aux présidents turc et égyptien ainsi qu'aux rois saoudien et jordanien pour les informer de la teneur des discussions syro-russes. Assurance d'un départ à long terme de Bachar contre un arrêt immédiat du soutien turco-saoudien aux terroristes "modérés" ? Pourtant, Moscou et Damas sont plutôt en position de force.
Sur le terrain, la coalition syro-irano-hezbollahi continue de progresser, lentement mais sûrement. Dans plusieurs localités, les djihadistes en retraite ont laissé derrière eux des bombes à retardement, ce qui prouve bien qu'ils reculent, pour la première fois depuis bien longtemps. Fait surprenant : Al Nosra (= Al Qaeda en Syrie) et l'EI auraient engagé des pourparlers afin de mettre de côté leurs différends et se concentrer sur le combat contre l'armée syrienne. La situation doit être bien grave pour que les deux frères ennemis en arrivent à de telles "extrémités"... De même, les commandants de divers groupes rebelles d'Alep ont lancé des appels paniqués à l'unité devant l'offensive gouvernementale.
De nombreux mercenaires terroristes étrangers arrivent dans la province d'Idlib (complicité turque, forcément) afin de compenser les sérieuses pertes de ces dernières semaines. La Turquie, qui vient de se brûler les doigts avec l'attentat d'Ankara perpétré par des djihadistes de l'EI qu'elle avait nourris et blanchis, va-t-elle poursuivre sa course à l'abîme ? Erdogan en est capable...
Mais quelle que soit la voie choisie par les parrains des terroristes modérés, l'intervention russe, pourtant relativement légère, a terriblement changé la donne en Syrie. Les troupes loyalistes ont vu leur moral boosté et reprennent l'initiative un peu partout. Selon un diplomate occidental cité par le New York Times, "le gouvernement syrien était en train de couler avant l'intervention russe. Maintenant, il ne coulera plus, la partie est finie".
Une nouvelle bonne pour le moral n'arrivant jamais seule, l'armée irakienne est en train, sur l'autre partie du front, de prendre elle aussi l'initiative. Jamais aussi offensifs que depuis que Bagdad est entré dans le camp syro-irano-russe, les Irakiens avancent contre l'EI sur trois front en même temps. Avis de gros temps sur le Califat...