Les anciens meilleurs amis du monde - la Turquie et l'Etat Islamique - se déchirent, le second qualifiant maintenant la première de "Satan" et de "traître". Ca ne manque pas de sel quand on sait le soutien sans faille d'Erdogan à l'EI pendant des années afin de renverser Bachar en Syrie. Comme les Etats-Unis, comme l'Arabie saoudite, comme le Qatar, la Turquie est en course pour l'Oscar du meilleur second rôle avec sa magistrale interprétation du docteur Frankenstein. Le monstre se retourne contre son géniteur. Si les appels de l'EI à la "rébellion générale" et à la "conquête d'Istanbul" sont des éléments de langage, il faut quand même savoir que le nombre de Turcs membres de l'organisation djihadiste est estimé entre 1 000 et 7 000. Ca en fait des attentats potentiels...
Les menaces de l'EI s'ajoutent à la révolte kurde qui fait sauter les pipelines dans l'est et devient peu à peu hors de contrôle. Erdogan joue avec le feu : si sa sale guerre contre le PKK vise à ressouder l'électorat autour de lui après la déconvenue de juin et la percée du HDP kurde, elle peut tout aussi bien mener à la guerre civile. Ce ne serait pas la moindre des ironies : après avoir jeté des hectolitres d'huile sur le feu du conflit syrien, Ankara se prendrait le boomerang en pleine tête sous la forme d'une guerre civile sur son propre territoire.
Sur la scène politique, l'impasse est totale et l'AKP d'Erdogan vient à nouveau d'échouer à former un gouvernement de coalition. Si les sociaux-démocrates et surtout les nationalistes du MHP sont peu favorables aux Kurdes, ils se méfient tout autant des tendances sultanesques d'Erdogan. Les élections législatives de novembre se profilent (à moins d'une improbable entente de dernière minute pour former un gouvernement multipartite) et polariseront encore un peu plus les divisions turques qui avaient éclaté au grand jour lors des manifestations de 2013. Le sultan en herbe a engagé depuis plusieurs années déjà son pays sur un chemin chaotique et imprévu dont le retour de bâton commence à se faire sentir dans la complexe société turque.
Dans trois mois, l'on saura si le pari d'Erdogan - union nationale sur le dos des Kurdes au risque d'une guerre civile - aura été gagnant. En attendant, l'on comprend mieux que Moscou temporise avec le Turk Stream...