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Ca gaze... ô duc ? Questions - réponses sur l’or bleu

Le gaz a-t-il un futur ?

Plus que jamais. De toutes les sources d’énergie, c’est la moins polluante, la seule énergie fossile qui respecte les normes du protocole de Kyoto. D’ailleurs, la consommation de gaz ne fait qu’augmenter depuis les années 70. Les ressources étant bien plus importantes que pour le pétrole ou le charbon, l’or bleu est l’énergie du futur et sera, est déjà, au coeur de la géopolitique de l'énergie.

L’Europe a-t-elle une vraie politique énergétique dans le domaine du gaz ?

Non. Elle est prise dans les manigances géopolitiques du Grand jeu et y est jusqu’au cou. L’intérêt stratégique des Américains est d’isoler l’Europe de la Russie afin de maintenir une Eurasie divisée. C’est un grand classique des relations internationales : la puissance maritime cherche à empêcher l’intégration du continent de peur d’être marginalisée. Dans le cas présent, ça se double d’une volonté américaine de contrôler les routes d’approvisionnement énergétique de leurs rivaux ou alliés afin de garder une certaine capacité de nuisance dans un contexte de déclin relatif. Un libre flux énergétique entre la Russie et l’Europe serait donc doublement dramatique pour Washington.

Comment les Etats-Unis procèdent-ils pour empêcher cela ?

L’offensive est multiforme. Ca passe par exemple par l’intoxication de la presse économique qui reprend sans réfléchir les balivernes émises par certaines officines, mais surtout par l’intense lobbying (chantage ?) sur les institutions européennes, dont on peut d’ailleurs se demander si elles ne sont pas en partie noyautées quand on voit la tragi-comédie du gazoduc South Stream. Alors qu’un pré-accord avait été signé en 2007 entre Moscou et plusieurs pays européens, la Commission de Bruxelles a brusquement tourné casaque et a adopté en 2009 le Troisième paquet énergétique qui, au travers d’arguties juridico-commerciales, torpillait le projet. Les discussions ont encore duré quelques années jusqu’à ce qu’une visite du sénateur US John MacCain en Bulgarie, pays qui devait recevoir le South Stream, « convainc » les autorités bulgares de geler le projet. On se demande bien ce qu’un sénateur américain vient faire dans cette histoire…

L’argument est que, en l’état actuel des choses, l’Europe devrait moins dépendre de la Russie…

Ca ne tient pas une seconde. D’abord parce que, contrairement à ce qu’une certaine presse laisse entendre, la Russie n’a jamais utilisé ses pipelines en tant qu’armes stratégiques. Même au plus fort de la guerre russo-géorgienne de 2008, Moscou n’a pas interrompu ses fournitures de gaz à la Géorgie. Ensuite et surtout parce que ça fait en réalité plus de vingt ans que les Américains tentent de torpiller tout accord énergétique entre l’Europe et la Russie. Ca n’a donc rien à voir avec la crise ukrainienne actuelle, qui n’est qu’un (énième) prétexte de ce Grand jeu énergétique. L’administration Bush s’appuyait déjà sur le concept de "Nouvelle Europe" - constituée des pays de l’est qui avaient des griefs historiques envers la Russie – pour tenter de couper en deux l’Eurasie. Malgré l’opposition hystérique de la Pologne, le Nord Stream avait quand même réussi à faire son chemin vers l’Allemagne, en contournant la nouvelle Europe par la Baltique, grâce à l’implication du chancelier Schroeder appuyé par Chirac. Depuis, une nouvelle génération de dirigeants européens a pris le pouvoir, moins indépendants, parfois d’ailleurs passés par des programmes américains comme les Young leaders (François Hollande).

Cette approche européenne n’est-elle pas suicidaire ?

Totalement. Les dirigeants européens se tirent une balle dans le pied. De manière amusante, Gazprom ironise maintenant sur la nécessité de lire 50 nuances de Grey avant d’engager des discussions avec les Européens ! Derrière l’humour de la déclaration, une vraie question se pose : jusqu’où ira le masochisme européen ? Le gaz russe est le moins cher, le plus proche et le plus abondant. Il faut vraiment avoir l’esprit retors (ou plus sûrement être totalement soumis à la pression venue d'outre-Atlantique) pour ne pas en profiter…

Quelles seraient les autres sources possibles ?

Promues par Washington, elles sont toutes plus chères et difficiles à mettre en œuvre, voire irréalistes. Il faut bien avoir à l’esprit que, contrairement au pétrole qui est assez disséminé sur la planète, le gaz est dominé par quatre pays, le carré d’as de l’or bleu : Russie, Iran, Qatar et Turkménistan. A eux quatre, ils représentent environ 2/3 des réserves mondiales. Si l’Europe veut un approvisionnement régulier et important, c’est sur l’un de ces quatre pays qu’il faut miser. Or il suffit de regarder une carte et de connaître le b-a-ba de l’industrie gazière (GNL 30% plus cher que le gaz naturel passant par un pipeline) pour comprendre que trois de ces quatre solutions sont irréalistes.

Turkménistan : lointain et illusoire. Moscou et Téhéran ayant droit de véto (et ils ne s’en priveront pas !) sur la construction d’un pipeline sous la mer Caspienne, il faudrait liquéfier (GNL) le gaz turkmène puis le charger sur des méthaniers, le décharger et déliquéfier en Azerbaïdjan et enfin le faire passer dans un gazoduc jusqu’à l’Europe. Long et très coûteux. De toute façon, le Turkménistan s’est depuis longtemps tourné vers la Chine où il vend à peu près tout son gaz.

Qatar : cher. Le rêve de faire passer son gazoduc par la Syrie (d’où son soutien aux rebelles) s’étant évanoui dans les sables brûlants du désert, le Qatar est condamné à embarquer son GNL sur méthaniers à destination de l’Europe.

Iran : mise à part l’évidente solution russe, c’est le moins mauvais des scénarios. Mais, mais, mais… 1- L’Iran est encore sous le coup des sanctions et il n’est pas du tout sûr que la dispute du nucléaire se règle prochainement. 2- L’industrie gazière iranienne est dans un état lamentable et requiert de colossaux investissements. 3- L’éventuel gazoduc irano-turc pour amener le gaz vers l’Europe sera long et techniquement difficile à construire (montagnes kurdes). Dans tous les cas, ce n’est pas pour demain…

Quant aux autres sources présentées ici et là par une presse qui n’a même pas les connaissances basiques de la chose, elles sont soit grotesques soit à très court terme. L’Azerbaïdjan n’a quasiment pas de gaz ; le développement de nouveaux gisements mettra un peu de gaz sur le marché mais guère plus de 10 Mds de m3 annuels (à comparer aux 63 Mds de m3 du South Stream ou du nouveau Turk Stream). Le schiste américain est un fantasme : il coûte doublement plus cher (coût d’extraction et coût de transport en GNL), la production dépasse à peine la consommation locale et la technique de fracking provoque des tremblements de terre, ce qui met sérieusement en doute la pérennité du schiste. Quant aux autres sources, elles sont viables à court terme, guère plus : un peu de gaz norvégien par-ci, un peu d’algérien par là, mais les réserves de ces pays sont loin d’être conséquentes et s’épuisent.

En un mot comme en cent, il n’y a pas d’alternatives au gaz russe. Comme le dit un analyste, Russian gas is here to stay. Not because the EU’s Energy Union is still far from the solidarity it seeks, but because the alternatives don’t make sense (et encore, l'article implique que le gaz turkmène pourrait être transporté à travers la Caspienne, ce qui ne sera de toute façon jamais le cas comme on l’a vu)

Reste à savoir si les dirigeants européens vont enfin cesser de s’auto-mutiler et échapper à l’emprise de la formidable capacité de nuisance américaine. Washington avait déjà réussi à tenir la jambe européenne pendant des années avec l’illusoire projet Nabucco, désormais ravalé au rang des farces et attrapes. Dernier épisode en date : la déstabilisation de la Macédoine afin d’empêcher le passage du Turk Stream, le remplaçant du South Stream, en provenance de la Turquie et de la Grèce.

Ca gaze... ô duc ? Questions - réponses sur l’or bleu
Ca gaze... ô duc ? Questions - réponses sur l’or bleu
Tag(s) : #Gaz, #Europe, #Russie, #Etats-Unis, #Asie centrale, #Caucase

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