Le feuilleton de l’or bleu - dont on pourra se remémorer quelques épisodes (ici, ici, ici ou ici) - ne connaît pas la crise et continue de plus belle.
Déjà paniqué par un documentaire de Canal + sur la véritable nature de la révolution néo-nazie du Maidan, le régime clownesque de Kiev vient encore de sortir une idée de génie. Tenez-vous bien, l’Ukraine va porter plainte contre le Nord Stream 2 ! Défense de rire, c'est l'inénarrable Yatseniouk qui le claironne. L’ « argument » de Kiev est que… heu... à vrai dire, on ne le comprend pas trop. En gros, c'est l'éternelle histoire du beurre et de l'argent du beurre : Les Russes sont des vilains mais nous voulons que leur gaz passe par chez nous pour toucher les dividendes. Si vous le dites…
Evidemment, le petit protégé de Victoria "fuck the UE" Nuland n'aurait pu trouver seul cette lumineuse idée, le parrain US n'est pas loin. Est-ce un hasard si, dix jours auparavant, le vice Biden et Tapiocashenko avaient promis de torpiller le gazoduc russe ? On imagine déjà le lobbying américain auprès de la grosse Bertha Angela...
Un bonheur ne venant jamais seul, la Pologne s'y met aussi et insiste pour que les gazoducs de l'ennemi russe passent sur son territoire. Ne craignant pas la contradiction, Varsovie demande également un renforcement de l'OTAN sur son sol ! Vous avez dit schizo ?
Tout cela constitue-t-il une menace pour le Nord Stream 2 ? C'est peu probable. Les intérêts allemands et ceux des compagnies énergétiques européennes impliquées dans le projet sont trop importants. Mémère Merkel est prête à se vendre aux Américains jusqu'à un certain point mais pas plus. Elle a continuellement tenté de torpiller la route sud (South Stream puis Turk Stream) mais s'est faite soudain bien moins véhémente lorsque Moscou a proposé de doubler la route nord.
Et, last but not least, nous en revenons toujours au même problème : les autres sources d'approvisionnement. Comme nous l'annoncions il y a longtemps, le gaz de schiste US est une illusion et sa production a déjà commencé à baisser. Le gaz azéri est une fumisterie et concerne des quantités négligeables. Le gaz turkmène ne passera jamais par un pipeline transcaspien tant que Moscou et Téhéran s'y opposeront.
Reste le gaz iranien. La levée des sanctions a rempli d'espoir les eurocrates (notons en passant l'invraisemblable hypocrisie de ces vassaux de l'empire : le 15 janvier à 23h59, l'Iran était encore le diable en personne ; le 16 janvier à 0h01, l'Iran est soudain devenu, par la grâce de Washington, tout à fait fréquentable). On a même commencé à évoquer un gazoduc vers l'Europe via la Turquie. Mais mais mais... Premier problème : le tracé passerait forcément par les zones kurdes en guerre et où plusieurs tubes ont déjà sauté. Le 6 août, nous écrivions :
Rien ne va plus en Turquie, un troisième pipeline explose ! Et pas n’importe lequel : il s’agit du BTE (Bakou-Tbilissi-Erzurum). Ce corridor Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie est promu sans relâche par les Américains depuis vingt ans afin de détourner l’Europe des hydrocarbures russes et d’isoler Moscou. C’est la route du BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), ouvert en 2005 et transportant le pétrole caspien de l’Azerbaïdjan à travers la Géorgie et la Turquie, évitant soigneusement le territoire arménien, allié de Moscou. C’est la route que devait emprunter l’illusoire Nabucco qui, contrairement à l’opéra de Verdi, est resté définitivement dans les cartons. C’est enfin le projet brinquebalant du TANAP qui, tel Jésus multipliant les pains, est censé "assurer la sécurité énergétique" de l’Europe avec ses malheureux 16 Mds de m3 de gaz annuels. Les Américains ne s’arrêtent pas à ces détails : de gré ou de force, leurs "alliés" européens doivent tout consommer, même du vent, plutôt que du gaz russe… Les Européens ne sont évidemment pas dupes mais n’osent pas contredire frontalement leur maître, d’où ce petit jeu qu’ils croient follement subtil d’un pas en avant puis en arrière, une jambe finissant par faire un croche-pied à l’autre.
Deuxième problème : l'Iran est de toute façon loin, très loin de pouvoir fournir de grosses quantité à l'Europe, du moins dans un avenir proche. Plusieurs récentes analyses ont douché les espoirs fous nés de la levée des sanctions. Le système iranien de transport est archaïque ou inexistant et requiert des centaines de milliards d'investissements, idem pour les gisements. Pire ! Téhéran a également d'autres projets, comme l'IPI (Iran-Pakistan-Inde) vers ses futurs alliés au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai. Conclusion : il faudra attendre au moins jusqu'en 2025 et plutôt 2030 pour que l'Iran soit capable de livrer du gaz à l'Europe, si tant est que le problème kurde soit réglé en Turquie.
Et puisqu'on parle du loup... Ankara a énormément de mal à trouver d'autres fournisseurs que russe après le quasi gel des relations. Ca tombe particulièrement mal, la Turquie n'a jamais autant consommé d'or bleu de son histoire. Au lendemain de la bourde du 24 novembre, Davutoglu s'est précipité en Azerbaïdjan pour humer le bon air gazier. Le moins que l'on puisse dire est qu'il a été déçu. Répétons-le, on parle ici de quantités insignifiantes (les importations turques de gaz russe sont 1,4 plus importantes que la production totale de gaz azéri !) En plus, Bakou n'a pas trop envie de se mettre Moscou à dos en ce moment, alors que les Russes sont de plus en plus présents en Arménie et peuvent, quand ils le veulent, soutenir plus franchement Erevan dans la dispute du haut Karabagh.
Le sultan aura beau faire des pieds et des mains, il n'y échappera pas et continuera d'avaler du gaz russe. Que dire alors de l'Europe, dont la consommation est dix fois supérieure...