Ainsi, le sultan du sarin a confortablement remporté les élections de dimanche dernier, frôlant la barre des 50% après la déconvenue du mois de juin. C'est une petite surprise que de voir le peuple turc s'embarquer, de manière consentante, sur la galère de son Grand Leader, sans très bien savoir où elle échouera...
Certes, il y a des raisons à cela. Erdogan a fait exactement ce que les Occidentaux ont accusé (à tort) Poutine de faire en Russie : détourner l'attention du marasme intérieur en jouant sur la fibre nationaliste et la peur de la population. Si le décompte des bulletins n'a pas fait l'objet de fraude, c'est en amont que le sultan a trafiqué le résultat du vote : fermeture des médias d'opposition (ça continue d'ailleurs) mais surtout guerre déclenchée de manière inique contre les Kurdes après un attentat de... l'Etat Islamique, c'est-à-dire l'organisation réellement terroriste, elle, que soutient la Turquie depuis des années. Pas de quoi gêner l'Europe qui, prise au chantage des réfugiés, est prête à verser des milliards à Ankara. Quant à Obama, un regard vaut tous les discours...
Après le vrai-faux attentat du 10 octobre tuant près de 100 manifestants pro-kurdes marchant pour la paix à Ankara (l'incendie du Reichstag vient assez facilement à l'esprit), le parti kurde HDP, surprise des élections de juin, a préféré annuler tous ses meetings de campagne. Erdogan a eu beau jeu de lier ce parti à "l'ennemi terroriste" PKK, surfant sur la peur et flattant le nationalisme turc ainsi que le besoin de "stabilité" (ce qui ne manque pas de sel pour quelqu'un ayant déclenché une guerre civile en Syrie et une autre dans son propre pays !)
Résultat : le parti nationaliste MHP a perdu 5% et le HDP kurde 3%.
La république bananière turque est-elle pour autant sortie de l'auberge ? Bien au contraire. Le pays est polarisé comme jamais ; les "minorités" qui ne sont pas si minoritaires (10 à 15 millions d'alévis chiites, 15 millions de Kurdes), les laïcs turcs ou le mouvement de Fethullah Gülen haïssent Erdogan qui le leur rend bien. Le chemin de la présidentialisation du régime, voulue par le sultan, alimentera une opposition de plus en plus résolue. Peut-on envisager, à terme, une implosion ou une partition de la Turquie ? Pas impossible...
Ironie de l'histoire : la Syrie, qu'Ankara fait tout pour démembrer depuis quatre ans, entrevoit finalement la possibilité de conserver son intégrité territoriale grâce à l'intervention irano-russe, et c'est maintenant la Turquie elle-même qui s'engage sur le chemin de la décomposition. Qui sème le vent récolte la tempête... D'une chiquenaude, Moscou pourrait accélérer le mouvement en soutenant les YPG kurdes de Syrie. Comme sur d'autres points chauds, Poutine a ici emmagasiné des jokers dans sa manche qu'il peut sortir au moment voulu.