Contexte
Les Etats-Unis ont "libéré" l'Irak en 2003, donnant le pouvoir à la majorité chiite dont la première action fut de se précipiter dans les bras de l'Iran chiite voisin. Pendant que George Dobbelyou se mordait les doigts, ses alliés des pétromonarchies fondamentalistes sunnites se prenaient la tête à deux mains devant cette bourde stratégique qui créait un arc chiite continu de Beyrouth à Téhéran. Les grassouillets cheikhs du Golfe ont alors pensé, de concert avec le chef d'orchestre américain désormais dégrisé, à un plan machiavélique (ou wahabitique, en tout cas apocalyptique) consistant à créer un sunnistan permettant de casser l'arc chiite, et accessoirement - business is business - de faire passer de gigantesques pipelines à destination de la Turquie et de l'Europe. Le printemps arabe syrien fut l'occasion rêvée. On connaît la suite : rebelles de moins en moins modérés, Al Nosra, Etat Islamique enfin qui, pris d'une soudaine fringale, avalait la moitié Ouest de l'Irak et la moitié Est de la Syrie... Bagdad dépendait pour sa défense des Etats-Unis, c'est-à-dire de ceux-là même qui avaient indirectement créé cette situation. Bref, les Irakiens ruminaient ferme, n'attendant rien de bon du double jeu américain, jusqu'à ce que ces diables de Russes interviennent en Syrie, allumant un immense espoir qui s'est répandu comme une traînée de poudre de Bagdad à Kerbala, où la Poutinemania bat son plein.
Le ping pong Bagdad-Washington
Le retournement de l'Irak se déroule à une vitesse surprenante, chaque jour ou presque amenant son lot de surprise, à la grande rage des Etats-Unis qui essaient, tant bien que mal, de colmater les brèches. Trop peu, trop tard...
Fin septembre : l'Irak se joint au centre de partage de renseignement, dont le siège est d'ailleurs à Bagdad, mis en place par la Russie, l'Iran et la Syrie pour mener la guerre contre l'EI et autres groupes djihadistes. A noter que les conséquences ne se font pas attendre car, deux semaines plus tard, l'aviation irakienne manque de tuer le calife auto-proclamé Al Baghdadi dans un raid d'où les Américains étaient totalement absents.
Début octobre : le premier ministre irakien Haider al-Abadi fait un appel du pied à Moscou en accueillant favorablement la possibilité de frappes russes contre Daech sur le territoire irakien.
Mi-octobre : pris de court et en mode panique, Washington dépêche en urgence le général John Allen, le coordinateur de la coalition internationale anti-Daech, pour exprimer "les préoccupations" d'Obama. Comme ça ne suffit apparemment pas, le général Dunford traverse l'Atlantique pour poser un ultimatum aux Irakiens : soit nous, soit les Russes. Une guerre à 4 000 milliards de dollars et plusieurs milliers de GI morts pour en arriver à ces enfantillages... Bagdad fait mine de se plier à la mise en demeure américaine.
Quelques jours plus tard, les instances irakiennes autorisent quand même les Russes à bombarder les convois de Daech "en provenance de Syrie", cette dernière précision servant à sauver la face des Américains et de ne pas les provoquer frontalement. Mais les faits sont là : Bagdad a de fait autorisé les Sukhois à frapper sur le territoire irakien.
D'où le curieux et puéril épisode du 22 octobre : le raid US avec caméra GoPro contre une petite prison provinciale de l'EI, surmédiatisé dans la presse atlantiste. Après 13 ans d'occupation et 15 mois de bombardements homéopathiques sur Daech, qu'est-ce donc, sinon une tentative désespérée des Américains de montrer que, oui, oui, eux aussi peuvent lutter contre le terrorisme...
Ca n'a en tout cas pas impressionné Bagdad qui a déclaré assez sèchement il y a deux jours que l'Irak n'avait pas besoin d'opérations terrestres américaines sur son territoire et ne les souhaitait pas. Direct dans les dents.
La réalité est que l'Irak est en train, si ce n'est déjà fait, de sortir de la sphère d'influence US, comme tant d'autres pays. So long, uncle Sam...