Chers lecteurs,
je vous propose une petite sélection d'articles très intéressants qui confirment largement ce qu'explique ce blog sur la crise syrienne ces dernières semaines.
Commençons par une très bonne analyse parue sur Figaro Vox (souvent bien plus pertinent que sa maison mère) à propos de la stratégie de Poutine au Moyen-Orient. Extraits :
Les derniers renforts russes en Syrie frappent l'imaginaire collectif. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide et l'intervention soviétique en Afghanistan, l'armée russe s'apprête à intervenir au Moyen-Orient. Les Russes avaient conservé leur base de Tartous et fournissaient en armes l'armée syrienne mais Poutine a changé de braquet : désormais c'est l'armée russe qui frappe. Il s'agit d'un événement majeur qui va marquer l'histoire des relations internationales : un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place (...)
La stratégie russe n'est pas une logique de guerre froide et d'opposition aux armées occidentales mais plutôt d'aiguillon. L'idée est de participer à la coalition anti-Daech en s'appuyant sur l'armée syrienne et non les «rebelles». Rebelles qu'à l'exception de quelques idéologues, on peine à distinguer des groupes djihadistes proches d'Al-Qaïda. La Russie ne veut pas apparaître comme un trublion mondial. Au contraire, elle souhaite jouer un rôle dans le nouveau monde multipolaire qui s'ouvre après la fin de l'hégémonie américaine post-URSS.
Côté israélien, il y a une vraie déception vis-à-vis des Etats-Unis et un certain pragmatisme (...) Par dépit, Netanyahou se tourne vers Moscou qui pourtant applique une politique pro-iranienne dans la région.
(...) Le principe de réalité finit toujours par prendre le dessus sur les émotions morales. La stratégie occidentale est en échec en Syrie depuis quatre ans (...) Pour l'opinion occidentale, les crimes de Daech sont désormais nettement plus insupportables que les tentatives de Bachar Al-Assad de rester au pouvoir. C'est donc la position russe qui apparaît la plus juste mais aussi la plus réaliste. On joue sur les mots mais plus personne en haut lieu n'appelle à un changement de régime à Damas. Mutatis mutandis, les occidentaux s'alignent sur la position russe. C'est-à-dire la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme islamiste.
On disait l'économie russe à genoux, le pouvoir politique de Poutine vacillant, isolé sur la scène internationale. Il n'en n'est rien. Comme disait Bismarck, «la Russie n'est jamais aussi forte ni aussi faible qu'il n'y paraît.» Largement surestimée au cours de la guerre froide, la Russie a, depuis 25 ans, été négligée au Moyen-Orient. Mais l'image d'une armée russe en déliquescence dans les années 90 n'est plus d'actualité. Poutine et ses généraux se sentent suffisamment forts désormais pour se projeter au Moyen-Orient et déployer le meilleur de leur technologie.
Comme à son habitude, Vladimir Poutine a manœuvré en discrétion pendant tout le mois de septembre jusqu'à ce que son appui à l'armée syrienne ne puisse plus être contesté. Comme en Crimée et en Géorgie, Poutine ne veut pas provoquer mais les Occidentaux sont mis en douceur devant le fait accompli, sans déclaration tonitruante ni fanfaronnade. Les rôles s'inversent puisque jusqu'à présent ce sont les Occidentaux qui mettaient bruyamment la Russie devant le fait accompli.
Autre article fort intéressant, paru sur L'Orient-Le Jour et analysant ce que l'implication russe va changer en Syrie. Extraits :
Le retour en force des Russes sur la scène syrienne, aux côtés du régime de Bachar el-Assad, rappelle la fameuse image qui avait frappé les esprits il y a quelques années et qui montrait le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le président Assad et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, côte à côte à Damas. L'idée était de montrer la nouvelle alliance régionale qui unit ces trois composantes. Aujourd'hui, et en dépit de la guerre qui fait rage en Syrie et en Irak, on parle de nouveau d'une alliance entre la Russie, l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Hezbollah pour mener la lutte contre le groupe État islamique (EI) et le terrorisme en général.
Tous les pronostics et les interprétations des déclarations des responsables russes dans le sens d'un affaiblissement de l'appui de leur pays au régime syrien se sont évaporés face à l'implication claire et totale de la Russie en Syrie. Il ne s'agit plus simplement de livraison d'armes nouvelles et sophistiquées, mais d'un engagement sur le terrain et d'une tentative de restructuration des forces en place pour lancer de nouvelles offensives militaires.
Selon un diplomate des pays des BRICS en poste à Beyrouth, la Syrie est un enjeu stratégique pour la Russie, et ce d'autant plus qu'il y a près de 2 500 jihadistes russes qui combattent aux côtés de l'EI et du Front al-Nosra.
(...) Les Russes ont alors décidé de renforcer leur alliance avec l'Iran, la Syrie et l'Irak pour éviter toute possibilité de renversement du régime et consolider les positions de l'armée syrienne. D'ailleurs, la presse israélienne s'est faite l'écho de ce changement stratégique russe il y a quelques semaines, en y ajoutant le fait que Moscou s'apprête à envoyer des forces spéciales en Syrie. De fait, selon les informations en provenance de Damas, il y aurait désormais 1 000 militaires russes en Syrie, déployés entre Tartous et Jablé, c'est-à-dire dans la province de Lattaquié.
En même temps, les Russes et les Iraniens ont établi des contacts et une certaine coopération avec les Kurdes pour contrer une éventuelle offensive de l'opposition extrémiste appuyée par les Turcs dans le nord de la Syrie. L'armée russe a même effectué des manœuvres militaires au large des côtes syriennes, alors que le président Vladimir Poutine recevait le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour lui demander de ne pas entraver les manœuvres russes dans ce pays. Lors de la conférence de presse conjointe, M. Poutine a même clairement déclaré à l'intention de son interlocuteur que le régime syrien et son armée étaient trop impliqués dans la guerre qui se déroule dans leur pays pour constituer une menace pour Israël... Une façon assez ferme de couper court aux tentatives de M. Netanyahu de brandir la menace syrienne et celle du Hezbollah pour justifier des opérations en territoire syrien.
Selon le diplomate des BRICS, le président russe aurait donc demandé au Premier ministre israélien de limiter ses activités à une zone précise et de ne pas entraver les plans russes en Syrie. En même temps, les États-Unis ont annoncé l'échec de leur projet d'entraîner une opposition syrienne modérée, puisque des milliers d'hommes formés par les Américains, seuls cinq combattent l'EI, les autres ayant probablement rallié les groupes extrémistes. Enfin, « la tempête du Sud » annoncée à cor et à cri par l'opposition et ses parrains saoudiens et qataris à partir de Deraa semble avoir tourné court.
Dans le même sillage, le diplomate des Brics assure que les relations entre les Russes et les Iraniens se sont développées. Les dirigeants iraniens, l'ayatollah Ali Khamenei en tête, se sont empressés de rassurer les Russes sur le fait que la conclusion de l'accord sur le nucléaire ne signifie nullement que la République islamique d'Iran est devenue l'alliée des États-Unis. Les relations entre les Iraniens et les Russes sont donc stratégiques, alors que les relations entre les Iraniens et les Américains évoluent au cas par cas.
Un petit commentaire : la possibilité d'une alliance russo-irano-kurde dans le nord syrien est très intéressante. Les Kurdes ayant été lâchés par les Américains qui se sont empressés de faire les yeux doux à la Turquie, il est somme toute assez logique de les voir se tourner vers leurs seuls vrais alliés naturels : Moscou et Téhéran.
Enfin, une info passée totalement inaperçue dans la presse française. Poutine a inauguré la Grande Mosquée de Moscou (ou plutôt sa reconstruction) en compagnie du président palestinien Abbas mais surtout du président turc Erdogan. Avec ce dernier, des discussions auront lieu dans l'après-midi sur... je vous le donne dans le mille... l'Etat Islamique et le Turk Stream.