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Si la malédiction de Toutankhamon était plutôt une invention des tabloïds de l'époque, celle d'Assad semble être bien plus réelle. On ne compte plus les thuriféraires de l'empire ou ses affidés qui, ayant hurlé haut et fort leur ritournelle "Assad doit partir", sont partis finalement bien avant : Barack à frites, Flamby, l'Hillarante, Cameron pas Diaz...

Certains sont même partis rejoindre leurs amis djihadistes et leurs 72 vierges...

Parmi les fanatiques du départ de Bachar, il est un personnage dont on parle beaucoup ces derniers temps, un certain Jamal Khashoggi, assassiné par les services saoudiens au consultat d'Istanbul.

Sans vouloir tomber dans l'humour le plus noir, force est de constater qu'il a été démembré avant que ne le soit la Syrie... Quant à sa position sur le Yémen, s'il avait mis de l'eau dans son vin ces derniers temps, réclamant d'ailleurs une intervention américaine plutôt que saoudienne ou iranienne, son obsession contre les Houthis rappelle son ancien soutien à la sale guerre de Riyad.

En passant, beaucoup ont beau jeu de moquer l'hypocrisie des dirigeants occidentaux, scandalisés après l'assassinat d'un journaliste alors qu'ils sont restés bien silencieux durant des années sur le massacre de dizaines de milliers de Yéménites par l'Arabie saoudite...

Notre propos n'est pas ici d'évoquer les tortures assez insoutenables et finalement le meurtre de Khashoggi par les sbires du régime wahhabite, mais d'en analyser les conséquences internationales.

Première semi-surprise : la réaction très virulente de la Turquie. D'entrée, le sultan a pointé un doigt accusateur vers les Saoudiens et la presse d'Ankara, porte-voix officiel, ne cesse depuis de publier de nouvelles révélations sur la tuerie, basées sur les "fuites" complaisantes des services turcs.

En décodé, cela semble signifier que la crise entre l'Arabie saoudite et le Qatar n'est pas prête de s'arranger. On se rappelle en effet que la rupture au sein du Conseil de Coopération du Golfe, entre Riyad et Doha l'année dernière, avait vu la Turquie prendre le parti du Qatar :

Alors que des pays - de moins en moins nombreux d'ailleurs - se joignent au coup de sang de Riyad, Doha a reçu un clair soutien de la Turquie, après quelques jours d'atermoiements faut-il préciser. Le parlement d'Ankara a ratifié hier en urgence la signature d'accords militaires avec l'émirat gazier, dont celui consistant à y déployer des troupes. La nouvelle a été reçue comme il se doit au Qatar alors que le Seoud a dû grincer des dents...

Mouvement intelligent du sultan qui se remet au centre du jeu après en avoir été si souvent exclu en Syrie. Décrédibilisé par ses incessants retournements de veste passés (la toupie ottomane), il montre pour une fois qu'on peut compter sur lui, ce qui n'échappera pas aux acteurs de la région.

Le 15 août de cette année, l'émir du Qatar a promis 15 Mds d'investissements dans le secteur bancaire turc, malmené par l'effondrement de la lire. Deux mois plus tard, Ankara retourne la faveur. Nul doute que les accusations contre les Sqoudiens ont dû être douces aux oreilles qataries...

Autre réaction intéressante, celle de l'empire. Première possibilité, la plus sûre : Washington met la pression sur Riyad afin que les grassouillets chekhs signent le pharaonique contrat d'armement de 110 Mds de dollars. C'est sans doute la position du Donald, bon représentant de commerce. On peut également imaginer sans peine que le sourcil froncé de l'oncle Sam pousse les Saoudiens à faire plus dans la guerre qui ne dit pas son nom contre l'Iran. On ne peut pourtant pas accuser le Seoud de laisser sa part au chien dans le grand délire iranophobe qui a pris l'empire.

Toutefois, un point est plus étonnant : la réaction de la MSN impériale, très dure envers le régime wahhabite. Ca, c'est totalement nouveau. Serait-ce à dire qu'il y a encore quelque chose derrière ? Si l'hypothèse se révèle juste, le fidèle lecteur de nos Chroniques aura peut-être été prévenu il y a un an jour pour jour :

En 2015 - sous le titre Pétrodollar : le début de la fin ? - nous écrivions un billet prémonitoire qui n'a pas pris une ride :

A Washington, on doit beaucoup écouter les Doors en ce moment : This is the end, my only friend, the end... Certes, il ne faut pas vendre la peau de l'aigle avant de l'avoir plumé, mais ce n'est pas vraiment un futur radieux qui se profile à l'horizon pour l'empire 2.0.

Le système financier issu de la Seconde guerre mondiale - notamment les prêts en dollars du FMI ou de la Banque mondiale - assurait l'hégémonie de la monnaie américaine, permettant aux Etats-Unis de vivre au-dessus de leurs moyens en faisant financer leur dette par des pays étrangers tenus d’accumuler des réserves de titres libellés en dollars pour commercer. Ce "privilège exorbitant" (dixit Giscard) fut encore renforcé en 1973 lorsque Nixon se mit d'accord avec les Saoudiens pour que ceux-ci vendent leur pétrole uniquement en billets verts, créant de facto le pétrodollar. L'OPEP suivra deux ans après. Pour les Etats-Unis, des décennies d'argent facile et de guerres financées par des pays tiers...

Jusqu'à ce que ces pays tiers disent stop. Certains d'entre eux du moins. La fronde a commencé vers la fin des années 2000. En Amérique latine, Argentine et Brésil décident de commercer dans leurs monnaies respectives, puis c'est au tour de la Chine et du Brésil, tandis que les pays émergents se rebellent au sein même des instances du FMI et de la Banque mondiale. Curieusement, Poutine était d'abord en retrait dans ce mouvement jusqu'à ce que la nouvelle Guerre froide subséquente à la crise ukrainienne fasse de lui le chevalier blanc de la dé-dollarisation de la planète. C'est, depuis 2014, une avalanche de défections auxquelles fait face le billet vert, contrairement à la fable médiatique hollywoodienne qui voudrait nous faire croire à une "communauté internationale" réunie autour de l'Occident. Russie, Chine, Brésil, Argentine, Afrique du Sud, Inde, Turquie, Uruguay, Iran, Equateur, Egypte, Venezuela, Vietnam, Paraguay, Kazakhstan... tous ces pays ont renoncé au dollar ou sont en voie de le faire dans leurs échanges commerciaux bilatéraux au profit de leur monnaie ou de l'or. Pire ! les propres alliés de Washington (Canada, Corée du sud, Qatar) quittent le navire et s'en vont sifflotant passer des accords SWAP (échanges de devises) avec la Chine.

Comme si cela ne suffisait pas, les BRICS ont décidé au sommet de Fortaleza la création d'un système financier parallèle concurrençant le FMI et la Banque Mondiale d'obédience américaine tandis que la Chine y allait de sa propre banque personnelle vers laquelle se sont précipités les alliés intimes de l'oncle Sam (Angleterre, Australie) comme des enfants turbulents désobéissant au majordome. Il paraît qu'Obama en a interrompu sa partie de golf...

Une chose demeurait, stoïque et inébranlable : le pétrodollar. Saddam avait bien tenté de monter une bourse pétrolière en euros mais il fut immédiatement tomahawkisé. Kadhafi avait lancé l'idée mais les bombes libératrices de l'OTAN tombaient déjà sur Tripoli avant qu'il ait eu le temps de passer un coup de fil. Les stratèges américains pouvaient dormir du sommeil du juste, leurs charmants alliés pétromonarchiques du Golfe resteraient le doigt sur la couture du pantalon.

Sauf que... Une info extrêmement importante, donc passée inaperçue dans la presse française, est sortie il y a quelques jours. La Russie et l'Angola ont dépassé l'Arabie saoudite comme premiers fournisseurs de pétrole à la Chine. Chose intéressante d'après les observateurs, c'est le fait que la Russie (encore ce diable de Poutine !) accepte désormais les paiements en yuans chinois qui a motivé ce changement tectonique. D'après un analyste, si l'Arabie veut reprendre sa part de marché, il faudrait qu'elle commence à songer sérieusement à accepter des paiements en yuans... c'est-à-dire mettre fin au pétrodollar.

Et là, cela risque de poser un sérieux dilemme aux Saoudiens : faire une croix sur leur prééminence pétrolière mondiale ou faire une croix sur le pétrodollar au risque de voir les Américains le prendre très mal et éventuellement fomenter un changement de régime.

Y a-t-il un lien avec la visite de haut niveau des Saoudiens à St Pétersbourg la semaine dernière, quelque chose du genre "Cher Vladimir, vous nous protégerez le cas échéant si on change de devise ?" A suivre...

On ne pouvait pas taper plus dans le mille. Octobre 2017 : un économiste de renom prévoit le remplacement par Riyad du dollar par le yuan, le roi saoudien effectue une visite historique à Moscou et les Russes vont vendre des batteries S400 à l'Arabie saoudite.

Carl Weinberg ne s'est pas souvent trompé dans ses analyses. Aussi, quand il déclare que Riyad est fortement encouragée par Pékin à lui vendre son pétrole en yuans et prédit que d'ici peu, les Saoudiens succomberont à la pression, il vaut mieux le prendre au sérieux :

« D'ici deux ans, la demande chinoise en pétrole écrasera la demande américaine. Je pense que la cotation des cours en yuans est pour bientôt. Dès que les Saoudiens l'accepteront - comme les Chinois les y contraignent - le reste du marché [les pétromonarchies, ndlr] suivra le mouvement. »

En filigrane, l'effondrement du pétrodollar mis en place il y a plus de quarante ans et pilier du système impérial américain. Les liaisons dangereuses entre Bush Junior et l'establishment wahhabite, le tendre baiser de Barack à frites sur le royal arrière-train du Seoud, tout cela n'aura finalement servi à rien...

Ca doit sérieusement grincer des dents le long des corridors néo-cons de Washington et il n'est pas impossible que quelques plans sur la "remodélisation" du royaume saoudien soient soudain sortis des tiroirs. Coïncidence (ou pas), le facétieux Vladimirovitch a justement ironisé sur la chose lors de la réunion annuelle du Club Vadaï à Sotchi :

Est-ce tout à fait un hasard si, dans ces conditions, Salman a débarqué à Moscou il y a deux semaines, la première visite officielle d'un monarque saoudien en Russie. Cela fait des décennies que l'ours et le chameau sont opposés sur à peu près tous les dossiers brûlants de la planète, le second finançant le djihadisme mondial pour le bénéfice de son parrain US afin de diviser l'Eurasie et mettre le premier en difficulté. Que cache donc cette visite historique ?

Au-delà des nécessaires relations entre ces deux poids lourds du pétrole (accord OPEP+), le Seoud suit les pas des autres acteurs du Moyen-Orient, délaissés par l'inexorable reflux de l'empire et qui vont tous rendre visite au nouveau boss de la région. Comme le dit sans ambages Bloomberg :

« Les Israéliens, les Turcs, les Egyptiens, les Jordaniens - tous prennent le chemin du Kremlin dans l'espoir que Vladimir Poutine, le nouveau maître du Moyen-Orient, puisse assurer leurs intérêts et résoudre leurs problèmes. »

Le Seoud ne fait pas autre chose, allant à Canossa, mangeant son keffieh en rabaissant très sérieusement ses folles prétentions syriennes (tiens, Assad ne doit plus partir finalement). Mais il y a peut-être plus, beaucoup plus, et plusieurs voix (ici ou ici) y décèlent un changement tectonique. Nous en revenons à notre pétrole yuanisé et à nos S400...

Certains ont dû avoir le hoquet en lisant qu'après la Turquie, Moscou allait également vendre son inégalable système anti-aérien à son ex-Némésis wahhabite. On le comprendrait mieux s'il s'agit de créer un environnement favorable à une transition saoudienne vers la dédollarisation et la multipolarité eurasienne, voire d'assurer la future défense du pays face aux réactions hystériques de l'empire trahi. L'avenir nous le dira.

Il n'est pas impossible que nous soyons arrivés à l'intant T et que des rumeurs plus qu'insistantes sur la vente du pétrole saoudien à la Chine en yuans soient parvenues aux grandes oreilles de l'empire. Ce n'est encore qu'une hypothèse mais elle permettrait de mieux comprendre l'inhabituel barrage de critiques - méritées, faut-il préciser - que le système impérial assène pour une fois à son cher allié, qui ne l'est peut-être plus tout à fait...

Tag(s) : #Moyen-Orient

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