Il est de ces ironies de l'Histoire...
Alors qu'il ne fallait sans doute pas chercher Washington bien loin derrière le vrai-faux putsch bolivien de l'année dernière et que Trump s'en était ouvertement félicité, le Donald se retrouve presque dans la même situation douze mois plus tard !
Les circonstances sont certes différentes, et symbolisent d'ailleurs à merveille les traditions culturelles, certains diront les clichés sur les deux parties de l'Amérique : coup de force militaire au Sud, coup de force médiatico-institutionnel au Nord. Aux pressions de la rue et menaces de l'appareil sécuritaire de l'une font écho les fraudes et la coercition médiatique de l'autre.
Et pourtant... Dans les deux cas, émerge confusément un sentiment identique, une sorte de gêne hésitante, de trouble perplexe. Pour le comprendre, il est nécessaire de relire ce que nous écrivions il y a un an sur la Bolivie...
... théâtre d'un coup d'Etat qui fleure bon la CIA. Les ressemblances avec le Maïdan ukrainien sont d'ailleurs assez frappantes : un président quelque peu naïf, une opposition violente, liée à Washington, des pontes de la police et de l'armée qui trahissent leur gouvernement et retournent leur veste, une chasse aux sorcières qui débute...
Un coup d'Etat, donc ? Oui mais... Ce blog se doit avant tout d'être objectif et il faut reconnaître que l'ami Evo n'est pas non plus blanc comme neige. Personne n'a bien compris pourquoi le comptage des voix a soudain été arrêté pour finalement désigner Morales gagnant alors qu'il n'était qu'en ballotage favorable [démenti depuis, ndlr]. Certaines vidéos montrent que ses partisans n'avaient rien à envier non plus à l'opposition sur le plan de la violence. Plus généralement, on peut difficilement contester que la Bolivie, y compris parmi sa propre base électorale, était lasse d'un président qui s'accrochait de plus en plus au pouvoir.
C'est lui-même qui, en 2009, avait inscrit dans la Constitution la limitation à deux mandats présidentiels. Pourtant, il se présentait là pour la quatrième fois ! Il avait déjà fait un tour de passe-passe en obtenant de la justice que son premier mandat (2006-2010) ne soit pas pris en compte. Puis, en 2016, il a perdu le référendum l'autorisant à se représenter mais une nouvelle et commode décision de justice a purement et simplement annulé le résultat du vote ! Dans un remake digne de l'euronouillerie, le tribunal a considéré que briguer une fonction est un droit de l'homme supérieur à la Constitution ou au résultat d'un référendum. Bref, vous l'aurez compris, Evo a quand même donné le bâton pour se faire battre et le MAS a perdu les masses...
De fait, les chiffres sont sans appel : le mois dernier, Luis Arce a fait dix points de plus que Morales il y a un an. Coup de force ou non, Evo avait clairement perdu une partie de sa base électorale et un curieux parallèle peut être dressé avec le Donald.
Sans présager de la lutte juridique engagée (voir par exemple cette audience qui se penche sur le féérique pic de votes en Pennsylvanie ayant donné 570 000 voix à Biden contre 3 200 à son adversaire), il n'en est pas moins vrai que le président en exercice a perdu une partie du socle qui faisait sa force il y a quatre ans, notamment parmi les "deplorables" et les conservateurs.
Les mineurs de charbon avaient massivement voté pour lui en 2016. Aujourd'hui, le principal syndicat de la profession lui demande d'« accepter le résultat des urnes et de partir » sans faire d'histoires. Comme un symbole du relatif affaissement trumpien dans la Rust Belt qui l'avait massivement porté au pouvoir contre Hillary.
Le Texas, État traditionnellement Républicain, n'a fait l'objet d'aucune plainte et le résultat de l'élection peut y être considéré comme régulier et définitif. Or, Trump a la plus faible avance pour un candidat Républicain depuis 40 ans*. Un signe qui ne trompe pas...
* Exception faite de 1992 et 1996 où l'irruption sur la scène nationale du candidat indépendant Ross Perrot avait affecté le traditionnel mano a mano entre les deux grands partis.
Publication de qualité, que nous citons de temps à autres pour ses pertinents articles égratignant la politique étrangère impériale, The American Conservative n'est pas connu pour son soutien aux Démocrates, c'est le moins qu'on puisse dire. Pourtant, le journal n'est pas tendre avec le Donald ; le professionnalisme de son équipe juridique est étrillé tandis qu'un éditorial appelle ni plus ni moins les conservateurs à se débarrasser de lui !
Quel que soit le résultat de la bataille légale, et il faut préciser que celle-ci n'est pas encore perdue pour Trump, le souffle qui l'a porté au pouvoir il y a quatre ans est partiellement retombé. La légitimité est chose importante en Histoire ; dans les périodes troubles et contestées, elle apporte souvent, à tort ou à raison, le petit plus qui permet d'emporter la décision. Quand elle est remise en cause, qui plus est par son propre camp, les obstacles deviennent soudain beaucoup plus difficiles à surmonter, même quand on est dans son bon droit...