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Il y a près de deux ans, nos Chroniques se sont attardées sur la surprenante poutinade consistant à vendre les S-400 à la Turquie d'Erdogan, ce qui provoqua une kyrielle de commentaires parfois indignés. Un petit rappel de ce billet polémique :

« Le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure » disait Hérodote. Aucune homme, aucune femme ne peut prétendre à trop de chance, de beauté ou de gloire sans que les Dieux ne remettent l'audacieux pris d'hybris à sa place, avertissaient les Anciens. La sanction pouvait prendre différentes formes : foudroyage, désastre ou coup de folie.

C'est sans doute dans cette dernière catégorie qu'il faut placer la cagade du président russe. Constamment victorieux ces dernières années sur l'échiquier du Grand jeu eurasiatique, gazier ou moyen-oriental, assistant au déclin et aux fractures internes de l'empire, débauchant les uns après les autres les alliés/vassaux de celui-ci, avançant ses pions partout, participant de la dédollarisation et de la multipolarisation de la planète... Tout cela est sans doute trop et les Dieux ont placé un grain de déraison dans la cervelle de Vladimirovitch.

En avril, nous faisions part de notre...

(...) incompréhension devant une incongruité absolue. Ce blog a suffisamment démontré les talents stratégiques de Poutine pour ne pas relever l'énorme connerie - désolé, il n'y a pas d'autre mot - qu'il s'apprête à faire en autorisant semble-t-il la livraison de S-400 à la Turquie !

Certes la vente n'est pas encore faite, certes il y a des protocoles, certes la Syrie pourrait aussi en bénéficier, mais enfin... Comment avoir une seule seconde confiance en Erdogan ? Comment être sûr qu'il ne refilera pas certains secrets à l'OTAN ou n'utilisera pas les S-400 contre des alliés de Moscou ? Comme oser placer la Turquie du führerinho sur le même pied que des alliés stratégiques comme la Chine ou l'Inde, seuls pays avec l'Algérie à avoir reçu ces systèmes ? Ca nous dépasse.

Eh bien voilà, nous y sommes, c'est là que les Athéniens s'atteignirent... Selon un officiel turc - notons que Rosoboronexport, la société russe d'exportations militaires, garde le silence (de honte ?) - un accord préliminaire a été trouvé pour la livraison dès l'année prochaine de deux batteries S400 ainsi que la production de deux autres batteries sur le territoire turc, impliquant donc des transferts de technologie, ce dont même des alliés traditionnels comme la Chine ou l'Inde n'ont bénéficié. Le tout pour la ridicule somme de deux malheureux milliards et demi.

En lisant l'information, votre serviteur n'a pu s'empêcher ce cri du coeur : mais comment peut-on être aussi c.. ?!

Bien sûr, on nous dira que les protocoles seront stricts, qu'il y a plusieurs niveaux de transferts de technologie et qu'ils seront limités dans le cas turc, que rien n'est encore signé et que la finalisation définitive peut prendre une bonne année, que depuis le temps les Américains doivent maintenant de toute façon connaître les secrets du S400, que cela accélère le divorce entre Ankara et l'OTAN...

Il n'empêche, nos interrogations d'avril restent les mêmes. Comment décemment transférer ce fleuron dans les mains du sultan, qui reste un membre de l'alliance atlantique et un adversaire en Syrie ? Pour protéger la Turquie de qui ? Et que dire aux alliés historiques rabaissés au niveau d'Ankara (Chine et Inde) ou en dessous (l'Iran n'a reçu que des S300) ?

Non décidément, les grands de ce monde, même les plus brillants comme le maître du Kremlin, sont parfois pris d'égarement et aveugles à ce que commande le bon sens le plus élémentaire...

25 mai 2019, Syrie. Au terme d'une contre-attaque éclair, les loyalistes, bien appuyés par l'aviation russe, reprennent Kafr Nabudah en bordure de l'Idlibistan. Il n'en fallait pas plus pour que le sultan ouvre à nouveau le robinet des livraisons d'armes à destination des barbus afin de contrer l'avance de l'armée syrienne.

Non seulement les Turcs, contrairement à ce qu'ils avaient promis il y a déjà bien longtemps, n'ont strictement rien fait contre HTS à Idlib, mais ils se permettent même maintenant de fournir des armes susceptibles de tuer les soldats russes présents sur le front !

On reste pantois devant l'aveuglement godiche de Moscou. Les titres ironiques ne manquent évidemment pas de fleurir ("Erdogan, le copain de Poutine, mène une guerre de proxy contre lui en Syrie"), tandis qu'un bon observateur résume parfaitement la situation :

Errare poutinum est...

Tag(s) : #Russie, #Moyen-Orient

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