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Comme prévu, l'élection présidentielle ukrainienne de la semaine dernière a accouché d'une humiliation pour le roi du chocolat, pion mis en place par l'empire atlantique après le putsch du Maïdan. Au moins, Tapiocachenko a-t-il réussi à accéder au second tour, ce qui est déjà une surprise en soi. Il n'empêche, ses 25% sont une gifle monumentale pour le gang impérial.

Les cartes électorales sont parlantes et cruelles pour le chouchou de l'Occident. Entre les deux tours, Zelensky (en vert) a récupéré le vote de tous les autres candidats, ne laissant à Poroclown (violet) que des miettes dans l'extrême-Ouest ultra-nationaliste.

1er tour :

2nd tour :

Un acteur sans expérience accède donc à la présidence, perpétuant la tragi-comédie ukrainienne débutée en février 2014. Russophone, proposant un référendum conditionnant l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN ou l'UE (entrée qui n'est de toute façon qu'hypothétique), ne promettant rien sur la Crimée ou le Donbass, Zelensky semble plus disposé à reprendre langue avec Moscou.

Cependant, il ne faut pas exagérer la portée de l'élection du comédien. D'abord parce que, comme chacun sait, il officiait sur les plateaux-télé de Kolomoiski. On se rappelle que cet oligarque s'était certes retourné contre Chocochenko dès 2015, mais que cela ne l'empêchait pas de financer certains bataillons néo-nazis férocement russophobes. Bref, un personnage bien peu recommandable dont l'ombre plane au-dessus du néo-président, même si l'on ne connaît pas tout à fait le niveau réel de leurs relations...

Ensuite parce que le nouveau venu n'a pas de plateforme politique. Il vient de créer, le mois dernier, un parti attrape-tout portant le même nom que la série télévisée dans laquelle il joue. Pas sûr que cela suffise pour gagner la Rada en octobre. Or, le baby Deep State ukrainien mis en place par Washington après le Maïdan y tient les rênes du pouvoir et s'est d'ailleurs précipité, juste après l'élection, pour passer une loi renforçant l'usage de l'ukrainien. Même le Figaro, inhabituellement objectif, voit la grossière manœuvre :

Le Parlement ukrainien a adopté ce jeudi une loi renforçant l'usage de la langue ukrainienne, au risque de crisper des populations russophones du pays au moment où le président élu Volodymyr Zelensky dit vouloir leur tendre la main.

Le but, évident : savonner la planche du nouveau président et torpiller toute possibilité de rapprochement. Cela ne vous rappelle rien ? En décembre 2016, nous décrivions le sabotage en règle de la future présidence Trump par le prix Nobel du pet,  :

Obamaboul semble décidé à laisser le déluge derrière lui. Humilié d'être totalement marginalisé dans le dossier syrien par la prise en main des trois boss (Russie, Iran, Turquie), régulièrement giflé par Poutine sur la scène internationale, mortifié par l'hilarante débandade de la présidentielle, il nous sort un pet du cerveau dont il a le secret.

La "confidence" d'un "responsable anonyme" de la CIA s'est, par la magie de l'effet boule de neige médiatique, transformée en "piratage de la démocratie" par Poutine. Ah d'accord... Comme pour le Boeing de la Malaysian Airlines au-dessus de l'Ukraine, on attend encore le moindre début de soupçon de preuve, mais le camp du Bien n'en a cure : ce qu'il dit est d'or et ne doit pas être discuté. Des preuves ? Mais voyons, que chantez-vous là, croyez-nous sur parole, le reste n'est que propagande russe...

La journaloperie a embrayé au quart de tour, du moins ce matin, car le barrage de critiques des lecteurs a obligé les rédactions à mettre de l'eau dans leur vin. Un ahurissant article du Fig à rot hurlant à la "menace russe sur la démocratie américaine et européenne" (pourquoi pas jupitérienne tant qu'on y est) a disparu corps et bien pour faire place à des analyses plus honnêtes. Est également réapparu le mot "présumé" piratage.

Qu'il soit vrai ou faux - nous nous étions posé la question en juillet -, ce "hackage" est bénin en comparaison des multiples coups d'Etat, changements de régime et autres révolutions de couleur perpétrés par Washington. Comment dit-on l'hôpital se fout de la charité en anglais ?

N'ayant plus que 20 jours à tirer, Barack à frites ne s'arrête pas à ces détails. Pour torpiller encore un peu plus les relations russo-américaines et savonner la planche à son successeur, il expulse 35 diplomates russes et leur famille, et confisque deux "retraites" russes sur le territoire US. C'est sans doute ici que les perfides agents du KGB préparaient la fin du monde...

Ironisant sur la "paranoïa" d'Obama et "l'agonie anti-russe" (dixit Medvedev), Moscou l'a ensuite joué tout en finesse. Réponse de Poutine : il n'expulse personne, souhaite au président états-unien une bonne année et invite les enfants des diplomates américains à Moscou à venir fêter le Noël orthodoxe au Kremlin ! La Maison Blanche doit verdir de rage...

En ne "s'abaissant pas à faire de la diplomatie de cuisine" et en prenant une posture gandhienne, Vladimirovitch a gagné la bataille médiatique face à l'agité du bocal de Washington.

Le Deep State US semble avoir fait des petits du côté de Kiev... Moscou n'attend en réalité pas grand chose de la nouvelle équipe dirigeante dont la marge de manœuvre est réduite, du moins jusqu'aux élections législatives d'octobre. Il convient également de relever que le Kremlin la joue moins subtile qu'il y a trois ans. Dans ce qui peut être vu comme un faux pas, en tout cas une décision au timing fâcheux, Poutine a signé il y a quatre jours un décret simplifiant l'obtention de la citoyenneté russe pour les habitants du Donbass. Décision forcément très mal reçue à Kiev, y compris par le néo-président qui s'est vu obliger de riposter en promettant la citoyenneté ukrainienne aux "opposants des régimes autoritaires" (sous-entendu la Russie). Ne s'arrêtant pas en si bon chemin dans cette véritable guerre des passeports, Vladimirovitch considère maintenant carrément la possibilité de faciliter la citoyenneté russe à tout ressortissant ukrainien !

On se demande quand même pourquoi le Kremlin propose cela maintenant, plaçant Zelensky dans un embarras certain. Coup de pression à l'égard du néophyte qui, malgré le petit coup de griffe de l'ours, se déclare toujours prêt à "discuter des nouvelles conditions pour une coexistence entre l'Ukraine et la Russie" ? Aide indirecte permettant au nouveau président ukrainien de donner des gages publics de russophobie à son baby Deep State avant d'entreprendre des négociations avec Moscou ? Tout est possible, mais il n'en reste pas moins que cette décision au timing curieux paraît bien cavalière...

 

*** MAJ 30.04 ***

Chers amis,

en lisant les commentaires, très intéressants mais pas forcément toujours justes, je me rends compte qu'un petit rappel est nécessaire. Ce n'est pas pour rien que ce blog s'appelle Chroniques du Grand jeu. C'est un récit qui se construit sous nos yeux, une suite de chroniques qui font suite les unes aux autres, comme les chapitres d'un livre. Les billets ne paraissent pas ex nihilo, c'est une continuité et il est nécessaire de savoir ce qui s'est écrit avant (59 sur l'Ukraine) pour comprendre la teneur, souvent induite, des articles actuels. Il est vrai cependant que, mis à part quelques retours sur l'Ukraine ces derniers mois, cette case du grand échiquier était moins abordée sur notre blog depuis 2015-2016 et c'est sans doute ma faute. Aussi serait-il bon de faire quelques petits rappels importants.

Pour comprendre la stratégie de Moscou vis-à-vis de l'Ukraine, il est fondamental de lire cet ancien billet :

11 mai 2014 : Poutine ne reconnaît pas le référendum séparatiste du Donbass

C'est l'une des clés permettant de comprendre la stratégie de Poutine en Ukraine et pourtant, elle n'est jamais relevée. Et pour cause ! Ce serait revenir sur plus d'un an de désinformation systématique de nos faiseurs d'opinion qui se rengorgent sur le "danger russe" et "l'invasion russe de l'Ukraine" (alors qu'un môme de 5 ans pourrait comprendre que si la Russie voulait vraiment conquérir l'est ukrainien, ça aurait été torché en cinq jours, certainement pas un an et demi !) Comment expliquer que Poutine n'a pas reconnu le désir d'auto-détermination des séparatistes pro-russes du Donbass si l'on affirme dans le même temps qu'il cherche à annexer le Donbass ? Aïe, voilà un os pour nos propagandistes en herbe... Alors on évacue purement et simplement l'une des deux contradictions. Ce faisant, on condamne le public à ne rien comprendre à ce qui se passe là-bas.

Petit retour en arrière.

Après le putsch, le nouveau régime au pouvoir à Kiev est pro-occidental et, suivant le désir de ses parrains américains, veut prendre le chemin de l'OTAN (plus que de l'UE d'ailleurs, ce qui montre l'imbécilité des dirigeants européens, bonnes poires dans toute cette affaire). A Moscou, on tremble. Perdre la base navale de Sébastopol, verrou stratégique de la Mer noire et ouverture sur la Méditerranée, pire, voir cette base devenir américaine ! Et voir l'OTAN s'installer aux portes de la Russie, alors que promesse avait été faite en 1991 à Gorbatchev que l'alliance militaire n'avancerait pas vers l'Est. Impossible... La réaction de Poutine sera fulgurante (notons qu'il est en réaction dans toute cette affaire, pas en expansion) et se fera sur deux axes :

- récupérer la Crimée et la rattacher à la Russie.

- créer un conflit gelé en Ukraine même, paralysant Kiev et l'empêchant d'entrer dans l'OTAN.

Le premier volet est connu, inutile d'y revenir en détail. Un Khroutchev passablement bourré avait donné la Crimée à l'Ukraine d'un trait de plume, un soir de beuverie de 1954. Depuis la dislocation de l'URSS en 1991, la Russie louait (cher) la base de Sébastopol, accord qui était toujours susceptible d'être remis en question quand un gouvernement pro-US arrivait au pouvoir à Kiev. Suivant l'exemple occidental au Kosovo, Moscou a pris le prétexte (d'ailleurs réel) du droit à l'auto-détermination des peuples pour organiser le référendum de rattachement à la Russie. Apparemment, les Criméens ne s'en plaignent pas trop...

Mais c'est surtout le deuxième volet qui est intéressant. Poutine n'a aucune intention d'annexer l'est ukrainien, bien au contraire ! Son but était de créer un conflit gelé à l'intérieur des frontières ukrainiennes. Selon la charte de l'OTAN, un pays ayant un conflit ouvert ou gelé sur son territoire ne peut faire acte de candidature. Et ça, on le sait parfaitement à Moscou. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le cas de figure se présente. Trois pays de l'ex-URSS ont, sous la direction de gouvernements formés aux Etats-Unis, fait mine de vouloir entrer dans l'organisation atlantique : Géorgie, Moldavie et Ukraine. Moscou a alors activé/soutenu les minorités russes en lutte contre le gouvernement central, les conflits gelés dans ces trois pays (Ossétie et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie et maintenant Donbass en Ukraine) les empêchant d'entrer dans l'OTAN. Ce que fait Poutine dans l'Est ukrainien n'est donc que la réplique de ce que la Russie a déjà fait ailleurs, il n'y a aucune surprise. Pour lui, il est donc hors de question d'accepter que le Donbass se rattache à la Russie, contrairement aux sornettes racontées ici et là : il le veut à l'intérieur des frontières ukrainiennes. Statut d'autonomie, armement, soutien diplomatique, aide humanitaire... tout ce que vous voulez, mais à l'intérieur des frontières ukrainiennes !

Cela explique pourquoi Poutine était bien embêté lorsque les séparatistes pro-russes ont organisé leur référendum. Il a d'abord tenté de les en dissuader, puis il a refusé d'en reconnaître les résultats. Cela explique aussi que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, Poutine est mal vu par les pro-russes du Donbass ainsi que par les courants nationalistes russes qui rêvent tous d'une Novorossia indépendante ou de son rattachement à la Russie.

Vladimir Vladimirovitch fait un numéro d'équilibriste, soutenant suffisamment les séparatistes pour qu'ils ne se fassent pas annihiler tout en douchant assez cyniquement d'ailleurs leurs espoirs d'un rattachement à la Russie, éliminant les leaders séparatistes indépendantistes (Strelkov, Mozgovoi, Bezner) pour les remplacer par des chefs plus enclins à se contenter d'une large autonomie (Zakarchenko, Givi, Motorola), le tout alors que Kiev (et les Etats-Unis derrière) font tout pour faire déraper la situation et que certains bataillons néo-nazis (Azov, Aidar, Tornado etc.) bombardent sciemment les civils russophones. Pour l'instant, Poutine s'en sort avec une maestria peu commune, mais seul l'avenir nous dira si l'équilibriste est finalement arrivé de l'autre côté.

Ce qui nous amène à l'affaire actuelle des passeports. Il serait stratégiquement suicidaire pour Moscou de vider l'Ukraine de ses russophones. Pour empêcher son voisin d'adhérer à l'OTAN et à l'UE, la meilleure garantie est au contraire la présence et même le renforcement des russophones en Ukraine. Un Donbass suffisamment peuplé est l'une des conditions pour que le conflit gelé s'éternise, torpillant le chemin de Kiev vers l'Alliance atlantique.

De même, une importante population russophone dans le reste du pays (Odessa, Kharkov etc.) est un véritable cheval de Troie russe dans l'édifice de la junte maïdanite. C'est par exemple l'assurance que le référendum proposé par le néo-président sur l'accession à l'OTAN et à l'UE ne sera pas une partie de plaisir. Plus il y a de russophones en Ukraine, plus le Non a des chances de l'emporter. Déjà, le rattachement de la Crimée à la Russie a fait perdre à Moscou près de 2 millions de votants ukrainiens pro-russes susceptibles d'influer sur la politique de Kiev. Vider le reste de l'Ukraine de sa population pro-russe serait suicidaire et ferait perdre à Moscou un levier d'influence sur son voisin.

Face à ces considérations stratégiques majeures, la nécessité (bien réelle par ailleurs) de renforcer la démographie russe fait pâle figure.

Certes, on imagine que le Kremlin a fait des calculs précis. Faciliter l'accession à la citoyenneté russe ne signifie évidemment pas l'accorder à tout le monde et nombreux sont ceux qui ne partiront finalement pas. Mais dans le contexte de l'Ukraine post-Maïdan, affaiblir ne serait-ce que d'un iota la communauté russophone du pays est surprenant de la part de Moscou et interroge forcément. Tout comme est inattendu le timing de l'opération, au moment où est élu un président ukrainien plus russo-compatible que son clown de prédécesseur.

Tag(s) : #Ukraine, #Russie

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