Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Il y a quelques semaines, un fidèle lecteur commentait que le calme apparent et relatif laissait présager une prochaine flambée, ce que votre serviteur plussoyait. Le moins que l'on puisse dire est que nous sommes servis. L'échiquier s'embrase...

Commençons par la Corée où le scénario noir pour Washington se réalise. Le mois dernier, nous écrivions :

Mauvaise nouvelle pour l'empire... En Corée du Sud, Moon Jae-in vient d'être confortablement élu président après la destitution de la conservatrice et pro-US Park Geun-hye. Or, le nouvel occupant de la Maison bleue est moins favorable aux vues américaines que son prédécesseur (...) C'est évidemment la question du THAAD qui cristallise toutes les interrogations. La société sud-coréenne y est majoritairement opposée (34% pour, 51% contre) et Séoul, même sous l'ancienne direction, refusait vaille que vaille de débourser le moindre won pour l'installation du système anti-missile.

Inquiets devant l'éventualité d'une victoire de Moon et d'un refus subséquent du THAAD, les Américains se sont dépêchés de débarquer l'équipement fin avril pour mettre le nouveau président devant le fait accompli, ce qui n'a trompé personne. De plus, Trump a dû ravaler sa fierté et accepter la prise en charge totale du coût de la batterie (1 milliard de $).

Pourtant, nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises :

L’équipe de campagne de Moon Jae-in, le candidat du parti démocratique libéral favori de la présidentielle, a immédiatement dénoncé cette installation imprévue, regrettant qu’elle ne prenne pas en compte l’avis du peuple. Selon Moon, le prochain président élu devrait être autorisé à prendre la décision finale sur le déploiement du THAAD après les élections du 9 mai.

Il est maintenant président et les prochains jours seront scrutés avec avidité, tant à Washington qu'à Pékin, Pyongyang ou Moscou.

Nous y sommes. Moon a envoyé les Américains valser sur la lune en suspendant le déploiement du THAAD. Concrètement, les deux batteries déjà débarquées resteront jusqu'à plus ample informé, mais celles qui étaient en attente d'installation attendront encore longtemps...

On imagine aisément le soulagement à Pékin, dont le nouveau président sud-coréen est assez proche, et à Moscou ; l'empire US vient de connaître un méchant revers dans sa tentative de contenir la partie orientale de l'Eurasie.

Mais c'est encore une fois au Moyen-Orient que le torchon brûle. La crise saoudo-qatarie atteint des niveaux insoupçonnés tandis que le théâtre syrien s'enflamme et que l'Iran est touché.

L'ultimatum saoudien a expiré et... rien. Moon of Alabama a beau jeu d'ironiser :

Le "jeune chef" - le prince Mohammed bin Salman - a (de nouveau) surestimé ses forces. Les Saoudiens étaient sûrs que Bachar al-Assad partirait en 2011 ou 2012. Les Houthis du Yémen devaient être battus en quelques jours. Des années et des milliards de dollars saoudiens après, les deux sont toujours là.

De fait, le Qatar n'a pas vacillé devant l'agressivité saoudienne, refuse de se soumettre et a mis ses forces armées en alerte maximale. Alors que des pays - de moins en moins nombreux d'ailleurs - se joignent au coup de sang de Riyad, Doha a reçu un clair soutien de la Turquie, après quelques jours d'atermoiements faut-il préciser. Le parlement d'Ankara a ratifié hier en urgence la signature d'accords militaires avec l'émirat gazier, dont celui consistant à y déployer des troupes. La nouvelle a été reçue comme il se doit au Qatar alors que le Seoud a dû grincer des dents...

Mouvement intelligent du sultan qui se remet au centre du jeu après en avoir été si souvent exclu en Syrie. Décrédibilisé par ses incessants retournements de veste passés (la toupie ottomane), il montre pour une fois qu'on peut compter sur lui, ce qui n'échappera pas aux acteurs de la région.

Mais c'est surtout vers Téhéran que tous les regards se tournent et les Perses la jouent très fine, faisant d'une pierre deux coups. Les demandes qataries en nourriture et eau potable ont été acceptées et même devancées puisque l'Iran offre maintenant l'utilisation de trois ports pour le ravitaillement de son voisin. En intensifiant ses relations avec Doha, il espère faire exploser le Conseil de Coopération du Golfe, le biais par lequel l'axe Washington-Riyad-Tel Aviv fait pression sur Téhéran. Et en échange de l'aide de première nécessité fournie actuellement, on imagine qu'une condition a été posée : le retrait du soutien qatari aux rebelles modérément modérés de Syrie.

Est-ce vraiment un hasard si l'Etat Islamique a perpétré hier des attaques aussi rares que frappantes, en plein coeur de la capitale, contre des symboles du pouvoir (Parlement et mausolée de Khomeiny) ? Téhéran a en tout cas immédiatement accusé l'Arabie saoudite d'être derrière les attentats. Quant aux condoléances invraisemblablement hypocrites de la Maison blanche (qui ironise presque sur le supposé arroseur arrosé), elles ont été qualifiées de "répugnantes" et renvoyées illico à leur émetteur.

Puisque l'on mentionne Cretinho, notons qu'il fait maintenant profil bas, comme nous l'envisagions dans le dernier billet :

Le Donald vient de mettre de l'eau dans son coca, peut-être "fortement conseillé" par son entourage, et a appelé le Seoud pour tenter d'apaiser la situation.

Car le Deep State doit être dans tous ses états du fait de la crise pétromonarchique. Comme vu plus haut, le CCG est en phase de désintégration avancée, le Qatar se rapproche de l'Iran... et peut-être bien de la Russie !

L'émir Al Thani a discuté par téléphone avec Poutine avant-hier. Le communiqué (en anglais) du Kremlin est laconique mais fort intéressant :

Russian-Qatari cooperation, primarily in the trade, economic and investment areas, was discussed, and the results of the meeting of the bilateral Intergovernmental Commission in April 2017 were highly praised. International issues were also discussed. Vladimir Putin reaffirmed Russia’s principled position in favour of settling crises by political and diplomatic means, through dialogue.

En décodé : Doha a offert des investissements supplémentaires en échange d'un soutien russe. Samedi, le ministre qatari des Affaires étrangères sera à Moscou et certains observateurs commencent à évoquer un possible pivot vers l'est de l'émirat gazier. On comprend mieux que le système impérial ait des sueurs froides et tente désespérément de rattraper le coup...

Vladimirovitch ne rencontrera pas l'envoyé de Doha car il est à Astana pour un importantissime sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai qui verra l'entrée officielle de l'Inde et du Pakistan dans la confrérie eurasiatique, décidée il y a deux ans et ayant pris un peu de retard. Au menu des discussions également : l'adhésion de l'Iran, membre observateur depuis 2005 mais bloqué jusque-là par les sanctions. La nouvelle architecture de l'OCS a de la gueule :

Le parallèle est frappant. Tandis que les institutions de l'empire américain sont en train de se fissurer (Union européenne # Brexit ; OTAN # Turquie) ou d'exploser (CCG # Qatar), la multipolarité eurasienne continue d'intégrer et de grandir. Tss tss Mackinder...

Certes, l'entrée du couple infernal indo-pakistanais importera son lot de frictions - dispute du Cachemire, méfiance de l'Inde vis-à-vis de la Chine et de ses routes de la Soie (rappelons que Modi a refusé de participer au sommet organisé le mois dernier par Pékin) - et la presse russe ne cache d'ailleurs pas certaines craintes. Mais cette plateforme unique de consensus à l'échelle du continent-monde qu'est l'OCS finira par créer, sous la pression du binôme russo-chinois, le dialogue nécessaire entre les frères ennemis. Le plus drôle serait que le Qatar désaoudisé y fasse lui aussi son entrée dans quelques années...

Ce qui nous ramène au Moyen-Orient. On l'a vu, l'empire a bien peu de motifs de satisfaction en ces temps difficiles. Est-ce la raison de son jusque-boutisme en Syrie ? Les nouvelles en provenance du Cham ne sont guère rassurantes. D'abord, un état des lieux s'impose. Les quatre zones de désescalade - Idlibistan, Homs nord, Ghouta orientale et Deraa (A, B, C et D sur la carte) - fonctionnent à peu près.

On y retrouve l'habituel mix d'islamistes et de djihadistes qui étaient principalement soutenus par la Turquie ou le Qatar : Ahrar al-Cham, Hayat Tahrir al-Cham (Al Qaida) et un florilège de groupes barbus. A noter d'ailleurs que dans la Ghouta orientale, les combats continuent entre Faylaq ar-Rahman, allié à Al Qaeda et soutenu par le Qatar, et Jaish al-Islam, soutenu par l'Arabie saoudite. Dans le contexte actuel, cette mini-guerre Doha-Riyad par groupes rebelles interposés ne manque pas de sel...

Le camp turco-qatari et ses proxies étant partiellement mis de côté (merveille du saucissonnage à la russo-perse), c'est désormais le dessein à minima de l'axe USA-Israël-Arabie Saoudite qui attire tous les regards. Il ne s'agit plus de faire tomber Assad ni de faire passer des pipelines : l'objectif est d'empêcher désespérément la jonction de l'arc chiite, ce que nous appelions Cap à l'est :

L'accord sur les zones dites de désescalade est tombé à point nommé - et connaissant Poutine, ce n'est sans doute pas un hasard - pour faire redescendre la tension en Syrie occidentale et profiter du cessez-le-feu provisoire afin de lancer les cohortes loyalistes vers l'est du pays. De gros renforts affluent depuis plusieurs jours à Palmyre et les Russes mettent un point d'honneur à contrôler le ciel jusqu'à Deir ez-Zoor et au-delà. 

Car l'objectif (flèches rouges) est Deir ez-Zoor, assiégée par l'EI depuis trois ans, et la frontière syro-irakienne. En filigrane, il s'agit évidemment de maintenir un continuum est-ouest (arc chiite, quand tu nous tiens) et empêcher sa coupure nord-sud par l'avancée de groupes rebelles soutenus par Washington [pointillés blancs].

Le Donald revient (si tant est qu'il l'ait jamais quittée) à la traditionnelle politique étrangère américaine consistant à obliger ses alliés. Et de vrais alliés dans la région, on l'a vu, les Etats-Unis n'en ont plus que deux : Israël et l'Arabie saoudite. Ceci explique sans doute le jeu dangereux que joue Washington actuellement.

Pour la deuxième fois en une semaine, et la troisième depuis un mois, des avions US ont bombardé un convoi loyaliste en direction d'Al Tanaf (1). Malgré les justifications d'usage (Nous ne voulons pas attaquer l'armée syrienne, nous ne faisons que nous défendre), cela devient une mauvaise habitude. D'autant que le prétexte de la "zone de sécurité" de 55 km est réfuté par Lavrov.

Ayant de la suite dans les idées, les Américains ont établi une seconde base (2) en territoire syrien, à 70 km d'Al Tanaf, le long du petit bout de frontière irakienne contrôlée par leurs proxies. S'ils comptent jouer au petit jeu des 55 km de sécurité, une réponse russe s'imposera sous peine de voir cette "politique des petits pas" remonter sur toute la frontière.

Ceci dit, les avions russes et syriens ne se gênent pas non plus pour bombarder les rebelles pro-US, que ce soit dans la zone qui nous occupe ou, plus étonnant, une faction de l'ASL au sein des SDF kurdes près de Raqqa (à confirmer).

Plus généralement, on peut se demander ce qu'attend l'armée syrienne pour lancer la grande offensive vers Deir ez Zoor, dans les tuyaux depuis des semaines. C'est le grand jalon de la course vers l'est et le contrôle de la frontière irakienne. Or l'avance y est pour l'instant lente, les loyalistes semblant se concentrer partout ailleurs. Au nord, les Tiger forces ont totalement libéré la province d'Alep de la présence de Daech et sont désormais à portée de fusil des Kurdes de Taqba (3). Reste à savoir comment se passeront les retrouvailles mais nous reviendrons plus tard sur cette question.

Au sud, dans la région d'Al Tanaf justement, l'armée syrienne reprend aux rebelles pro-US des territoires qui paraissent secondaires. Certes, on comprend la logique qui prévaut : Al Tanaf est le dernier point proche de la frontière jordanienne où passent les hommes de paille américains. Ensuite, c'est la frontière avec l'Irak contrôlée de l'autre côté par les Unités de Mobilisation Populaire (UMP) chiites irakiennes. Que Damas parvienne à sceller la frontière syro-jordanienne jusqu'à Al Tanaf et les rebelles, n'ayant plus de base arrière ni de ravitaillement, disparaîtront comme neige au soleil.

M'enfin, l'urgence semble tout de même être Deir ez Zoor où l'armée syrienne vient encore de résister difficilement à une puissante attaque de Daech durant une semaine. Lavrov a vertement accusé les Kurdes assiégeant Raqqa d'avoir passé un accord avec les petits hommes en noir pour les laisser s'échapper et rejoindre leurs camarades califaux de Deir ez-Zoor. Combine américaine ? De fait, la route sud-est leur est encore ouverte :

Que se passe-t-il du côté irakien ? Alors que Mossoul à l'agonie est en passe d'être libérée dans les prochaines semaines, les UMP continuent leur inexorable avancée le long de la frontière (4) mais sont encore loin d'un éventuel point de rencontre avec les forces loyalistes syriennes.

Surprise du chef (pas tellement à vrai dire), des officiels kurdes syriens ont déclaré il y a cinq jours qu'ils ne permettront "en aucun cas" aux milices chiites irakiennes d'entrer en Syrie pour faire la jonction avec "le régime". Le discours change, soudain...

Le plan du système impérial est clair : utiliser ses proxies nord (Kurdes) et sud ("rebelles") pour fermer la frontière dans un grand mouvement de tenaille et empêcher ainsi la continuité chiite est-ouest. Saoudiens et Israéliens servis par les Américains, eux-mêmes servis par leurs hommes de paille kurdes et rebelles. Un grand classique.

Qui fera la jonction en premier ? Quelles en seront les modalités ? Un dernier élément tout de même. Moscou possède un atout non négligeable (si tant est que le Kremlin soit vraiment intéressé à la constitution de l'arc chiite): sa présence militaire dans le comté kurde d'Afrin (5), cette fameuse partie occidentale du Kurdistan syrien coupé du reste du Rojava par l'intervention turque et dont la protection repose en partie sur l'assistance russe.

Or les barbus pro-turcs viennent justement de relancer les hostilités et l'on compte plusieurs morts de chaque côté. Si les "Kurdes orientaux" sous direction US (6) se soumettent trop aux desiderata américains, la Russie pourra toujours menacer de fermer la représentation du PYD à Moscou et surtout retirer son contingent d'Afrin, laissant les locaux livrés à eux-mêmes face à l'agression turque.

Les Kurdes choisiront-ils alors de se vendre totalement aux intérêts de l'empire, abandonnant ainsi leurs frères ? Une des nombreuses et passionnantes questions auxquelles il est pour l'instant impossible de répondre...

Tag(s) : #Extrême-Orient, #Chine, #Russie, #Etats-Unis, #Moyen-Orient, #Sous-continent indien

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :