Aujourd'hui, petit florilège de nouvelles internationales qui se rattachent de près ou de loin au Grand jeu et à ses composantes.
- Syrie
Si les Américains comptaient jouer les gros bras après leur démonstration de force (ou de faiblesse, c'est selon) tomahawkienne, c'est raté. Tillerson n'a rien retiré de son voyage à Moscou et a même dû baisser d'un ton. Il est vrai qu'il y allait les mains vides, s'étant fait désavouer quelques heures auparavant par le G7 qui refusait toute nouvelle sanction contre la Russie voulue par la bande anglo-américaine.
Pire pour l'empire, Moscou est resté très ferme, Lavrov moquant littéralement les "demandes absurdes" de l'administration US, et semble avoir obtenu l'assurance qu'il n'y aurait plus d'autre frappe. Contrepartie : la reprise de l'accord sur la prévention des incidents dans le ciel syrien. C'est intéressant car sa suspension par Poutine, ouvrant la voie à une possible confrontation américano-russe en Syrie, a apparemment beaucoup troublé le Pentagone. Cela pourrait indiquer que les Américains ne se sentent absolument pas en position de force et que les systèmes anti-aérien et électroniques (brouillage des 36 missiles ?) de l'ours ont fait leur petit effet.
Moscou a reçu le soutien des BRICS (dont le Brésil de Temer, tiens tiens) qui condamnent toute intervention militaire illégale en Syrie en dehors du cadre de l'ONU. La réunion tripartite irano-syro-russe de ce jour, quant à elle, a mis les points sur les i de manière très sèche : le bombardement US était "un acte d'agression contraire à la charte de l'ONU" visant "à miner le processus de paix et pousser un changement de régime. Les tentatives de bloquer la proposition russe et iranienne d'établir une commission d'enquête indépendante et impartiale montrent que certains n'ont pas la conscience tranquille".
C'est le moins qu'on puisse dire, puisque le "rapport du renseignement" publié par la Maison blanche sur l'attaque chimique a été grossièrement caviardé et contredit par des experts et des pontes du renseignement. La CIA s'en est apparemment désolidarisée au vu de l'absence de son directeur, Mike Pompeo, lors de la retransmission tomahawkienne (notez que dans cet article, Robert Parry, se basant sur une source, évoque une nouvelle hypothèse : un drone israélien ou saoudien ayant décollé de Jordanie).
- Etats-Unis
Selon la bonne vieille politique de l'autruche, le Pompée de la CIA, sans doute un peu honteux, préfère regarder ailleurs : l'ennemi est... Wikileaks, qualifié de "service de renseignement hostile" ! Ah d'accord. Pourtant, lui-même citait Wikileaks l'année dernière tandis que son commandant en chef adorait le lanceur d'alertes il y a six mois encore :
Enième retournement de veste de celui qui, hier, a trahi pas moins de cinq (!) promesses de campagne en 24 heures ? Quelque chose ne tourne clairement plus rond sous la tignasse blonde du Donald et son imprévisibilité inquiète ses adversaires mais aussi ses alliés. D'ailleurs, bien malin qui pourrait dire aujourd'hui qui sont les uns et les autres... Plus grand monde ne sait sur quel pied danser, y compris les Démocrates pleurnichards qui commencent peut-être à regretter leur intense campagne de dénigrement sur les liens Trump-Poutine.
Trump dit qu'il n'enverra pas de troupes américaines en Syrie, mais peut-être que si finalement ; Trump dit que les relations américano-russes sont à un plus bas historique mais, quelques heures après, déclare que tout devrait se régler pour le bien de tous et qu'il faut avoir confiance ; Trump dit que l'OTAN est "obsolète" mais qu'elle ne l'est plus. La toupie Erdogan a trouvé son maître...
Ce flot de contradictions et de retournements laisse sans voix sa base, qui garde néanmoins une dernière flammèche d'espérance. Au moment où le président américain se lâche en imprécations contre le "boucher de Damas", notons la retranscription très honnête, favorable même, de l'interview d'Assad donnée à l'AFP par Breitbart, le site de la droite dure qui a été le principal soutien du Donald durant sa campagne. Intelligemment, Bachar (et Bannon derrière) affirme que la frappe US a été décidée par le Deep State et non Trump. Relevez également les nombreux commentaires extrêmement favorables au "Président Assad".
L'océan d'incohérences trumpiennes se voit dans l'auberge espagnole que constitue son administration, où les pro-Israël côtoient les anti-sionistes, les pro-Iran (oui, oui, il y en a) discutent le bout de gras avec les anti-Téhéran, et où l'islamic-lover McMaster, pillier des néocons, a remplacé l'islamosceptique Michael Flynn qui faisait pourtant du lobbying en faveur de la Turquie.
Dans ce panier de crabes, un pôle de stabilité tout de même : la nomination en mars de Fiona Hill au poste stratégique d'assistante du Président pour les affaires européennes et russes. D'abord, c'est une spécialiste de la Russie, y ayant étudié et vécu, et non une illuminée idéaliste et fanatique capable de réduire la terre en cendres pour sauver les "droits de l'homme". Si elle est généralement (très) critique envers Poutine, s'attirant par là les compliments de l'establishment impérial, elle est néanmoins suffisamment honnête pour reconnaître ses qualités, le comparant même à Roosevelt ou De Gaulle.
- Turquie
Nous avons mentionné Erdogan plus haut. Le sultan est tout émoustillé à la perspective de son référendum du 16 avril, visant à élargir les pouvoirs présidentiels. C'est pour ce vote qu'il est parti dans son délire sur les "nazis" européens et s'est sans doute définitivement mis à dos les euronouilles bien malgré eux. Malgré la mainmise sultanesque sur les médias, les moyens du gouvernement et l'intimidation de l'opposition, le "oui" et le "non" sont au coude à coude dans les sondages. Un "non" constituerait une gifle retentissante pour Erdogollum et personne ne s'est demandé ce qu'il ferait en cas de défaite. Les Turcs semblent lassés de ses crises rhétoriques dont il a d'ailleurs à peu près épuisé la portée.
Son saut de cabri après Al Chayrat fut sans lendemain. S'il croyait à une croisade américano-turco-saoudo-israélienne contre Assad, il s'est une nouvelle fois fourvoyé :
Un autre qui doit se demander pourquoi il s'est tiré une balle dans le pied est le sultan. Euphorique après le bombardement à 100 millions de $ qui a détruit trois canettes et deux poubelles, il se voyait déjà partageant un cheval avec le Donald, entrant résolument dans l'Idlibistan et menant la charge sunnite sur Damas. Depuis, on l'entend moins, lendemain de gueule de bois sans doute. Aux dernières nouvelles, il en est réduit à couper les routes avec la zone kurde de Manbij pour éviter la contrebande. De la haute stratégie, assurément...
Comme nous l'avions averti, la trahison sultanesque n'est pas passée inaperçue à Moscou et un premier tir de semonce vient d'être envoyé : les compagnies aériennes russes ont reçu un avis sur une possible suspension des vols charter à destination de la Turquie. En décrypté : le Kremlin menace au minimum d'assécher à nouveau le flux de touristes russes dont est accro l'économie turque. Et plus si affinité. A suivre...
Ankara est soudain - et pour la 3 427ème fois - tout miel et cherche, selon son ministre des Affaires étrangères, "à coopérer avec la Russie et les Etats-Unis pour regarder vers le futur et trouver une solution au problème syrien". Audiard n'aurait pas mieux dit : les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît...
A Moscou, on s'en amuse presque. Interrogée sur les "échantillons de sarin" qui seraient (conditionnel au carré) collectés par les Turcs à Khan Cheikhoun, la belle Maria a répondu qu'ils feraient mieux d'étudier la toxicité de la nourriture qui empoisonne les touristes en Turquie !
- Vieux continent
Une semaine après le référendum ottoman, les Français sont appelés aux urnes dans un vote crucial pour le futur du système impérial. La possibilité d'une victoire de Le Pen affole la finance comme en son temps, la crise grecque, le Brexit ou l'élection du Donald :
Et depuis que Mélenchon s'invite dans la partie et qu'un second tour Marine-Jean-Luc n'est plus une vue de l'esprit, c'est la peur panique... Est-ce un hasard si, soudain, fleurissent dans la presstituée les soupçons judiciaires assez bancals sur l'une, les articles hystériques sur l'autre ?
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Merci dans les commentaires de réduire au maximum les échanges politiques. Comme vous le savez, ce blog est apolitique et je ne mentionne les élections françaises que dans l'optique de leurs conséquences internationales.
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Ailleurs en Europe, le delirium tremens de la grande lutte contre le "populisme" atteint des niveaux record. Le 5 avril, le conseil des ministres allemand a approuvé un projet de loi introduisant des amendes pouvant aller jusqu'à 50 millions d'euros pour les réseaux sociaux refusant de supprimer les « publications haineuses » et « les fausses informations délictueuses ».
Comme on ne sait pas ce qu'est exactement un "message haineux" ou une "fake news", le Ministère de la Vérité pourra sans doute faire son choix. Une chose est sûre : la volaille médiatique, elle, ne sera pas concernée et pourra continuer à débiter ses craques en toute impunité.
D'aucuns diront que Berlin a peut-être mieux à faire en ce moment, notamment avec le scandale de l'espionnage turc sur des opposants en Allemagne, mais Frau Milka ne l'a-t-elle pas asséné elle-même à plusieurs reprises :
Nous voulons des marchés libres et ouverts, l'ouverture des frontières, les valeurs démocratiques, nous ne voulons construire aucune barrière. C'est ça le libre-échange.
On a du mal à voir le rapport entre la démocratie, les frontières ouvertes et le marché, m'enfin... Quiconque ne sera pas d'accord avec le mantra officiel sera-t-il considéré comme un suppôt de la "haine", un produit malsain des "fausses informations". Subira-t-il la foudre d'Angela Soros ?
En Suède, on n'en est plus là. Pour lutter contre le terrorisme après l'attaque au camion-bélier de la semaine dernière, le plus grand journal du pays propose sans rire de... bannir les voitures ! Oh les historiens du futur se pencheront avec effarement sur ces sociétés européennes kafkaïennes, incapables de désigner leur bourreau de peur d'être taxées de "racistes" et prêtes à toutes les circonvolutions pour ne pas avoir à le faire...
Mais rassurons-nous, le gouvernement suédois va éduquer les petites têtes blondes à partir de l'année prochaine : dès l'école primaire, les enfants apprendront à reconnaître les "fake news" et à repérer les sources douteuses.
Gageons que nos Chroniques seront mises sur la liste rouge de Stockholm, ce qui attristera profondément votre serviteur...
- Irak
Laissons l'Europe à ses mots/maux et retournons au Moyen-Orient où Moqtada Sadr fait encore des siennes. Nous avions parlé de ce personnage sulfureux :
En Irak, le fameux Moqtada Sadr, influent prêcheur chiite, a appelé à attaquer les troupes US. Quand on sait que les brigades "sadristes" comptent plusieurs dizaines de milliers de combattants et qu'elles ne jettent pas leur part au chien dans la guerre contre Daech, cela complique quelque peu la situation. Cette déclaration incendiaire est sans doute à relier aux grandes manoeuvres préparant l'après-guerre. (...)
Pour qui roule Moqtada ? Sans doute pour personne. On aurait tort de le considérer comme l'homme des Iraniens ; depuis treize ans, plusieurs points de tension ont éclaté entre Téhéran et cet électron libre. Le gouvernement irakien, chiite comme lui, en a une peur bleue : on se souvient de l'invasion du parlement en avril, en pleine zone verte, pour réclamer la fin du népotisme, de la corruption et mettre en place un "gouvernement de technocrates" sans affiliation politique ou religieuse (nouvelle preuve de la complexité du personnage, religieux à la politique laïque).
Nos pressentiments ne pouvaient pas être mieux illustrés, car l'ami Motqada vient encore de mettre les pieds dans le plat en appelant Assad à démissionner :
«Il serait juste que le président Bachar al-Assad démissionne (…) et évite au cher peuple de Syrie le fléau de la guerre et l’oppression des terroristes», a-t-il déclaré, dans un communiqué rendu public le samedi 8 avril 2017.
Trois jours plus tard, depuis la ville sainte de Najaf où il est basé, à 200 km au sud de Bagdad, il persiste et signe. «J’ai exhorté Assad à partir pour préserver l’axe de la résistance et afin de lui éviter le sort de Kadhafi», a-t-il prédit dans un nouveau communiqué.
Même s’il prend ses précautions en défendant «l’axe de la résistance» contre Israël, qui comprend l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais, Moqtada al-Sadr est le premier haut responsable chiite à contester ainsi la légitimité du président syrien.
Une surprenante offensive frontale contre un des piliers de la stratégie iranienne d’exportation de la révolution islamique. Bien que formé en Iran, Moqtada al-Sadr, dont les miliciens ont combattu les forces américaines en Irak, joue en effet de plus en plus la carte nationaliste.
Il en a même profité pour condamner les représailles américaines contre Bachar al-Assad et exhorter les Etats-Unis et la Russie à se retirer du théâtre syrien.
Engagé à la tête d’un vaste mouvement populaire contre la corruption et en faveur de réformes dans le pays, il organise régulièrement des manifestations dans la Zone verte ultra-sécurisée de Bagdad, siège du pouvoir et du parlement irakien dominés par Téhéran.
Moqtada al-Sadr mobilise également ses partisans contre les milices chiites du Hachd al-Chaabi (les Forces populaires de mobilisation), alliées de l’Iran. Il s’en démarque tant en raison de leur engagement auprès d’Assad en Syrie que pour leurs exactions contre les populations sunnites en Irak, sous couvert de lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique.
Selon le site libanais AlKalima Online, de jeunes Irakiens ont même repris à l’université Al-Diwaniya dans le sud du pays le slogan "Iran, dehors, dehors !" contre Kaïs al-Khazaali, le chef de Aasaeb ahl al-Hak (la ligue des vertueux), venu mobiliser en faveur des milices pro-iraniennes. Un slogan que les partisans de Moqtada scandaient lors des occupations de la Zone verte.
Il ne peut pas ignorer qu'Assad n'est très certainement pour rien dans l'événement de Khan Cheikhoun. Aussi, l'explication est ailleurs et corrobore ce que nous disions de lui l'année dernière. Sa sortie a tout à voir avec des considérations intérieures :
Moqtada al-Sadr cherche à se démarquer du gouvernement irakien et des autres partis chiites au pouvoir depuis 2003. Il est engagé depuis plus de deux ans dans une campagne anti-corruption et pro-réforme. A coup de déclarations tonitruantes ou de manifestations monstres, il critique la politique irakienne, très alignée sur Téhéran. Le chef chiite se veut Irakien. Et avec cette déclaration, il veut montrer que l'Irak peut être allié de Téhéran mais ne doit pas être son vassal. Un discours nationaliste, son fond de commerce.
Si on compare, le gouvernement irakien a appelé à une enquête internationale sur les évènements de Khan Cheikhoun... sans critiquer Bachar el-Assad. Al-Sadr va même plus loin, il cherche à incarner la voix de la réconciliation chiite-sunnite en osant critiquer un allié de l'Iran, un dirigeant soutenu par Bagdad. C'est un leitmotiv chez lui ces dernières années.
Le mois dernier, il osait déclarer que les milices sectaires n'ont pas leur place en Irak. Du miel aux oreilles des sunnites et une provocation pour les milices chiites qui participent à la lutte contre l'organisation de l'EI mais qui ont été accusées de crimes de guerre, comme des kidnappings, des exécutions sommaires et des tortures.
Moqtada al-Sadr ajoutait même qu'il craignait des tensions entre communautés après que l'organisation de l'EI a été vaincue. Car le problème politique irakien reste entier. Il y a un fossé entre les communautés. Moqtada al-Sadr suggère qu'il pourrait faire partie de la solution.
Ainsi, s'il venait à arriver au pouvoir, l'ennemi historique des Américains pourrait paradoxalement compliquer sérieusement l'après-conflit syrien et la reconstitution de l'arc chiite. Quand nous vous disons et répétons que les facétieux Dieux de la géopolitique s'amusent...
- Afghanistan
Pendant que Vladimirovitch est au Kirghizstan et se félicite des avancées de l'Union Economique Eurasienne (que la Moldavie désormais pro-russe rejoint en tant que membre observateur), Washington a, sous les caméras et flash du monde entier, largué sa "mère de toutes les bombes" sur quelques types en pyjama dans les montagnes afghanes. De manière amusante, ont été vraisemblablement détruit les tunnels construits par ces mêmes Américains dans les années 80 pour aider leurs alliés moudjahidin contre l'URSS. On n'est jamais mieux servi que par soi-même...
Est-ce que cet exercice de com' changera quoi que ce soit au conflit ? Strictement rien. Tonton Sam a perdu la guerre depuis longtemps au royaume de l'insolence où les Talibans occupent peu ou prou la moitié du pays :
D'ailleurs, chose intéressante, cette bombe était destinée, non aux Talibans, mais à l'EI. Les observateurs n'ont évidemment pas manqué d'y voir un avertissement caché à Kim III.
- Corée
Ca chauffe au Pays du matin calme, même s'il faut se méfier de plusieurs fausses informations qui ont fleuri ces derniers jours (par exemple celle où la Chine menaçait de bombarder des sites nord-coréens).
Ce qui est sûr, c'est que la guerre des mots entre Donald et Kim inquiète Pékin et Moscou qui voient un possible dérapage incontrôlable et sermonnent les deux garnements pour qu'ils retrouvent leur calme. Devant la détérioration de la situation, Air China suspend ses vols en direction de Pyongyang tandis que Kim menace les Etats-Unis d'une "réponse sans merci" en cas de frappe préventive des navires de guerre US stationnés en mer du Japon. A Séoul et Tokyo, on ne doit pas en mener bien large...
Dans l'absolu, la disparition du régime nord-coréen serait une bénédiction pour la Chine et la Russie car cela ôterait le prétexte dont use et abuse l'empire pour conserver ses bases dans la zone. Il y a deux ans, nous expliquions :
Nous sommes évidemment en plein Grand jeu, qui voit la tentative de containment du Heartland eurasien par la puissance maritime américaine. Les disputes territoriales autour des Spratleys, des Paracels ou des Senkaku/Dyaoshu ne concernent pas une quelconque volonté de mettre la main sur d'éventuelles ressources énergétiques ou routes stratégiques, ou alors seulement en deuxième instance. Il s'agit avant tout pour le Heartland, la Chine en l'occurrence, de briser l'encerclement US et de s'ouvrir des routes vers le Rimland et vers l'océan, exactement comme la Russie le fait sur la partie ouest de l'échiquier avec ses pipelines et ses alliances de revers.
La présence américaine en Extrême-Orient est l'héritage de l'immédiat après-guerre (tiens, tiens, justement la période des père fondateurs de la pensée stratégique états-unienne, MacKinder et Spykman). Japon (1945), Taïwan (1949), Corée (1950) : la boucle était bouclée et l'Eurasie cernée à l'est, comme elle l'était à l'ouest par l'OTAN, au Moyen-Orient par le CENTO et en Asie du sud et sud-est par l'OTASE. La guerre froide entre les deux Corées ou entre Pékin et Taïwan sont évidemment du pain béni pour Washington, prétexte au maintien des bases américaines dans la région.
Le double plan de la puissance maritime - diviser le continent-monde à l'intérieur, l'encercler à l'extérieur - a atteint son acmé avec la rupture sino-soviétique de 1960. Un demi-siècle plus tard, que d'eau a coulé sous les ponts... Même s'il reste bien entendu de nombreuses pierres d'achoppement, l'Eurasie n'a jamais été aussi unie (symbiose russo-chinoise, Organisation de Coopération de Shanghai...), rendant caduque la première partie du plan. Quant au deuxième axiome, il fuit de partout.
Pour les Etats-Unis, le sud du Rimland semble définitivement perdu (entrée de l'Inde et du Pakistan dans l'OCS, fiasco afghan), le Moyen-Orient tangue sérieusement (Syrie, Iran, Irak maintenant, voire Yémen). Restent les deux extrémités occidentale (Europe) et orientale (mers de Chine) de l'échiquier où l'empire maritime s'arc-boute afin de ne pas lâcher. La bataille pour l'Europe (noyautage des institutions européennes, putsch ukrainien, manigances balkaniques vs pipelines russes, routes de la Soie chinoises, soutien moscovite à l'anti-système) est en cours. A des milliers de kilomètres de là, en Orient, un conflit jumeau s'annonce dont nous assistons actuellement aux prémices...
Washington utilise donc habilement un conflit ancien et réel (crise coréenne : 1er niveau) pour placer ses pions sur l'échiquier (Grand jeu : 2nd niveau). Contrairement à ce que serinent souvent les bisounours de l'info, il ne s'agit évidemment pas pour les Américains de faire pression sur la Chine pour qu'elle ramène à la raison son encombrant allié nord-coréen ; il s'agit au contraire d'utiliser la déraison nord-coréenne pour contenir la Chine, donc l'Eurasie.
Le but de l'empire est de maintenir un conflit de basse intensité en Asie orientale, suffisamment sérieux toutefois pour conserver les bases US. Mais par son impulsivité, le Donald pourrait bien mettre à mal cette fine stratégie. Qu'un conflit à grande échelle éclate, que le régime nord-coréen tombe et il entraînera dans sa chute le prétexte à la présence militaire américaine qui endigue l'est du Heartland.