Nous avions déjà évoqué la double visite israélienne à Moscou - du président, qui avait à cette occasion humilié les dirigeant australiens, et de Bibi la terreur. Au-delà des discussions à huis clos sur la Syrie, un autre thème, crucial, a été abordé : le gaz. Les deux étant d'ailleurs intrinsèquement liés comme nous allons le voir...
En 2010 a été découvert Léviathan, un très gros gisement offshore au large des côtes israéliennes, mais que le Liban et Chypre disputent aussi à l'Etat hébreu. Même si une compagnie, Delek Energy, associée à une société texane, la mal nommée Noble Energy, ont commencé à prospecter, le développement du champ gazier est peu ou prou bloqué. La faute à d'énormes investissements difficiles dans un contexte de baisse des cours, aussi et surtout à une bataille politico-judiciaire intra-israélienne. En 2012, le géant Gazprom avait déjà proposé d'entrer dans le tour de table mais ses avances avaient été, à l'époque, rejetées sous pression américaine. Ce n'est peut-être plus le cas désormais...
Beaucoup de choses ont en effet changé depuis :
- la relation américano-israélienne est à son plus bas historique (accord sur le nucléaire iranien, soutien de Washington aux Frères musulmans égyptiens et même putsch néo-nazi du Maïdan très mal vu à Tel Aviv)
- l'inexorable montée en puissance russe au Moyen-Orient via l'intervention en Syrie et ses conséquences (alliance de facto avec le Hezbollah, rupture avec la Turquie)
Tout à leur Grand jeu, les stratèges US voient avec inquiétude les Russes s'implanter dans cette zone incontournable qu'est en train de devenir la Méditerranée orientale. Bases syriennes, accord naval avec Chypre, et maintenant Gazprom... c'est plus que Washington ne pourrait en supporter ! Les Américains font tout pour qu'Israël rompt toute discussion avec le géant russe et vende son gaz à la Turquie, elle-même très dépendante du gaz russe. Joe Biden, qui apparaît toujours là où les intérêts CIA/néo-cons sont en jeu, a effectué une visite en Israël début mars pour rabibocher Tel Aviv et Ankara (et tenter de marginaliser Moscou). Apparemment, sans résultat...
Depuis la visite de Joe l'Indien, la haute-cour israélienne a rendu son jugement, bloquant le développement de Léviathan, mais ceci n'est peut-être que la partie émergée de l'iceberg. L'establishment militaire israélien préfère maintenir une coopération militaire avec Moscou et ne pas déplaire à Poutine que de rétablir les liens avec le sultan fou. Surtout que l'intervention syrienne a placé dans les mains de Vladimirovitch des atouts supplémentaires, notamment grâce au Hezbollah.
Fin février, nous écrivions :
On en était là quand l'intervention russe a sérieusement rebattu les cartes, Tel Aviv et Beyrouth-Sud se mettant sur leur 31 pour courtiser Poutine.
L'alliance entre Moscou et le Hezbollah est logique, presque naturelle. Mêmes alliés (Assad, Téhéran), même farouche opposition à l'islamisme sunnite. La tolérance absolue du Hezbollah envers les chrétiens d'Orient (voir ces étonnantes photos des combattants chiites au garde-à-vous devant Jésus dans des villages chrétiens syriens libérés) joue également en sa faveur, la Russie se considérant comme la protectrice du christianisme moyen-oriental. Alarmé, Netanyahou s'est alors précipité à Moscou faire des ronds de jambe à Poutine. On avait connu Bibi la Terreur moins placide...
Ce voyage n'a pas empêché le Hezbollah de mettre la main sur des armements russes. Qu'ils aient été livrés par les Syriens qui les avaient eux-mêmes reçus (plus probable) ou livrés directement par Moscou selon les dires de hauts responsables du mouvement chiite, cela importe somme tout assez peu.
L'état-major de Tsahal est plus que remué, notamment par le fait que le mouvement libanais est vraisemblablement en possession de missiles de croisière supersoniques Yakhont. Les récentes déclarations de Nasrallah - "les stock de gaz ammoniac d'Haïfa sont notre bombe nucléaire" - ont également provoqué la panique en Israël où l'on considère sérieusement transférer les usines chimiques dans le sud du pays, à un coût exorbitant.
Tiens, tiens, justement en face du gisement qui nous intéresse... Et Poutine de jouer sur du velours, utilisant la menace de ses alliés pour faire monter les enchères. Selon un bon connaisseur du sujet, en échange d'une participation de Gazprom, le maître du Kremlin aurait assuré les Israéliens qu'il n'y aurait "aucune provocation de la part du Hezbollah ou du Hamas." Message à double sens ?
La balle est dans le camp des Israéliens. De cette décision dépendra en partie la future carte stratégique du Moyen-Orient. En attendant, le tsar du gaz peut danser...