Toujours aussi bourrée, l'Europe merkelisée jette ses jambes flageolantes dans tous les sens, tentant vaguement de défendre ses intérêts tout en continuant à s'aplatir devant ses maîtres à penser (au choix : Obama, Erdogan, les Saoudiens).
Ainsi, le chantage d'Erdogollum semble payer car l'Union ectoplasmique, pardon... européenne serait prête à lui payer 6 Mds d'euros pour garder ses réfugiés.
Peu importe que les journaux d'opposition soient fermés les uns après les autres, que des milliers de Turcs attendent d'être jugés pour "insulte au président" ou que la connivence entre Ankara et Daech ou Al Qaeda soit de notoriété publique. Il y a bien longtemps que l'Europe a perdu tout semblant d'éthique ou de logique.
Qu'écrivions-nous il y a un mois ? "Maigre consolation pour le sultan : grâce aux réfugiés, il a pu faire chanter les Européens, véritables dindons du dindon de la farce." On ne saurait mieux résumer l'état du Vieux continent, dupé au carré. Même la presse du système semble gênée aux entournures par cette désastreuse descente aux enfers, voire carrément scandalisée (ainsi, le pourtant docile Guardian trouve "répugnant" l'agenouillement des Européens devant le petit führer d'Ankara). Je ne parle même pas des loopings que font De Gaulle et Churchill dans leur tombe, les pauvres...
Pas folle, la Turquie va réinvestir la quasi-totalité des fonds européens en projets militaires. Il est vrai que le régime Erdogan est quelque peu paniqué par l'encerclement russe et par la constitution inévitable d'un Kurdistan autonome syrien, future base arrière de la guérilla du PKK en Turquie. Des jours sombres s'annoncent pour Ankara et aucune aide n'est de trop, y compris, apparemment, l'aide divine pour un sultan de plus en plus allumé...
Pour l'Europe, ce "pacte avec le diable" ne sera qu'un court répit. La crise des réfugiés a des conséquences géopolitiques énormes (lire ces très intéressantes considérations) et disloque l'UE. Les pays de l'Est refusent catégoriquement de se plier aux diktats de Bruxelles et de Berlin, ce qui commence à sérieusement embarrasser les Américains qui voient menacée leur mainmise sur le Vieux continent, laborieusement mise en place via la construction européenne :
"Cette crise déstabilise les pays alliés des Etats-Unis mais aussi la construction européenne puisqu'elle provoque la résurgence des extrémismes [comprendre les partis critiques vis-à-vis des Etats-Unis] et le repli des uns et des autres face aux flux migratoires (...) Le cauchemar américain serait de voir l'Europe se rapprocher de la Russie. Or, le refus catégorique de la part des pays de l'Est européen d'accueillir de nouveaux migrants marque une véritable rupture par rapport à l'évolution des deux dernières décennies. Il laisse présager que, face à ce qu'ils considèrent comme des absurdités de l'Union Européenne, par exemple des quotas de migrants qui leur sont imposés contre leur gré, ces pays de l'est ne finissent par se détourner de l'Europe et pourquoi pas, ultérieurement, de l'OTAN. A cet égard, Ryan Crocker, ex-ambassadeur américain en Irak et en Syrie, a déclaré que la crise des migrants n'est pas simplement un problème pour le Moyen-Orient ou pour l'Europe, c'est un problème pour l'Amérique."
Comme Rome dans l'antiquité, Washington joue, dans ses colonies, la carte des "élites" en place - politiques, économiques, médiatiques, ce qu'on peut globalement appeler, faute d'un meilleur terme, le "système" - face aux forces centrifuges. L'Europe de l'ouest est déjà fortement clivée, tous les partis de réelle opposition se sentant de plus en plus attirés par l'anti-système que représente la Russie de Poutine. Si, ô paradoxe des paradoxes, malgré les contentieux historiques, l'Europe de l'est s'y met elle aussi, on imagine le casse-tête pour les maîtres washingtoniens du système qui voient leur château de cartes dangereusement tanguer. Comme le dit une spécialiste interrogée dans un lien précité :
"Les forces centrifuges sont donc là. Il faut d’ailleurs remarquer que, bien plus que les membres fondateurs, ce sont les nouveaux Etats membres d’Europe de l’est et balkanique qui prennent conscience de ce délitement culturel et social et se souviennent qu’ils ont en commun avec la Russie une vision plus lucide et pragmatique de ce type de phénomène.
Difficile de reprocher à Vladimir Poutine de se réjouir secrètement de ce renversement de situation ni de voir ses anciens satellites qui l’ont tant méprisé et craint, lui trouver désormais quelques vertus. Il prend indirectement sa revanche sur un élargissement qui a amputé la Russie de sa couronne protectrice d’Etats".
Et le gaz dans tout ça ? Là encore, les intérêts européens sont bridés par l'obéissance vassalique due au maître US. Nous avons déjà expliqué à de multiples reprises en quoi un rapprochement énergétique européo-russe constitue un cauchemar pour les Américains et comment ces derniers s'ingénient à convaincre leur "alliés" (défense de rire) de ce qui est bon pour leurs intérêts. Les Européens aimeraient tout de même bien sortir, au moins partiellement, de cette tutelle pesante et l'on constate dernièrement quelques subtils entrechats pour réchauffer la relation gazière avec Moscou.
L'inénarrable Commission de Bruxelles retourne sa veste pour la 738ème fois et engage des discussions constructives avec Gazprom. Plus étonnant, il se pourrait bien que le fameux South Stream soit finalement d'une manière ou d'une autre remis au goût du jour. Le conditionnel reste toutefois de mise car l'info n'est pas très claire et les protagonistes se gardent bien d'expliciter la chose. On imagine les lobbyistes de Washington réserver en ce moment même quelques billets d'avion à destination du Vieux continent pour convaincre une énième fois leurs amis récalcitrants que la consommation de gaz russe est dangereuse pour la santé...