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Sale temps pour le sultan

Les Dieux de la guerre et de la diplomatie semblent s'être donnés le mot pour faire des malheurs à ce pauvre Erdogan. Les déconvenues sultanesques sont tellement nombreuses qu'on ne sait, à vrai dire, par où commencer...

Sur le terrain, la continuelle avancée loyaliste et kurde en Syrie du nord, notamment autour d'Alep, scelle l'échec d'Ankara. Cinq ans d'efforts pour rien ! Al Nosra, Ahrar al-Cham et autres délicieux djihadistes sont en voie d'annihilation dans plusieurs provinces ; ne restera plus (pour combien de temps ?) que l'Etat islamique qui sera de toute façon coupé de maman Turquie par la poussée kurde. Tout cela prendra le temps qu'il faudra, les takfiris peuvent encore résister un certain temps dans la région d'Idleb, la reconquête des territoires daéchiques ne se fera pas du jour au lendemain, mais c'est désormais inévitable. Le vent a définitivement tourné.

Les Américains semblent avoir jeté l'éponge en Syrie et ce ne sont pas les coups de menton saoudien ou turc, se disant prêts à intervenir au sol, qui empêchera Bachar de dormir. On peut même dire que les Russes attendent avec gourmandise la moindre incursion turque... Est-ce pour la provoquer qu'ils bombardent allègrement les rebelles turkmènes liés à Ankara ? La porte se ferme peu à peu aux possibles fournitures d'armement. La Jordanie a tourné casaque et plus grand chose ne passera par là. L'armée syrienne et ses innombrables alliés se rapprochent dangereusement de la frontière turque tandis que les Kurdes vont bientôt lancer leur mouvement de jonction, fermant le corridor Azaz-Jarablus. Un ravitaillement aérien étant exclu à cause des avions russes, les terroristes modérés en seront à terme réduits à lancer des pierres.

Comme l'écrit L'Orient-Le Jour, canard libanais pourtant férocement anti-Assad :

Les Turcs sont les grands perdants de l'offensive d'Alep. Les forces du régime ne sont plus qu'à une vingtaine de kilomètres de la frontière, une nouvelle vague de réfugiés affluent en masse alors que la Turquie accueille déjà 2,7 millions de Syriens sur son territoire et les Kurdes du PYD, émanation syrienne du PKK, profitent de l'offensive du régime pour gagner du terrain dans le Nord. Les Kurdes, qui ont le double soutien de Moscou et de Washington, cherchent à relier les trois cantons d'Afrin, de Kobané et de Jezireh, afin de réaliser une unité territoriale dans le but d'obtenir à terme leur autonomie. Les Turcs pourraient être tentés d'essayer d'envoyer quelques troupes de l'autre côté de la frontière, mais l'intervention russe a fortement réduit leur possibilité.

Plus encore que la déconfiture de ses ambitions syriennes, c'est l'inexorable montée en puissance kurde qui provoque l'hystérie désespérée du sultan. Comme Obama et ses désormais légendaires lignes rouges sans cesse franchies, Erdogollum a maintes fois juré ses grands Dieux que si les Kurdes avançaient encore d'un pouce, vous allez voir ce que vous allez voir... On n'a rien vu. Les YPG viennent même de prendre, avec l'appui des Sukhois russes, l'aéroport militaire de Mennagh au nord d'Alep, à seulement 10 km de la frontière turque. La future attaque sur le couloir Azaz-Jarablus, pour fermer la porte à Daech, sceller la frontière et créer un Kurdistan syrien continu, en sera grandement facilitée.

Car c'est autour des Kurdes que tout se joue désormais. Comme deux prétendants, Moscou et Washington rivalisent de caresses, le tout sur le dos des Turcs qui doivent avaler couleuvre sur couleuvre. Les YPG bénéficient maintenant d'armements russes et américains et de la protection aérienne de l'aviation russe dans leurs offensives. Le PYD a ouvert sa représentation (semi-diplomatique) à Moscou à l'invitation personnelle de Poutine, provoquant l'exaspération d'Ankara.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste. Ayant exclu, sous pression turque, les Kurdes syriens de la table des négociations de Genève (la véritable raison du report des pourparlers), ils se rattrapent en leur mandant un envoyé spécial à Kobané, mortifiant encore un peu plus le sultan. Hurriyet parle même de "détresse" et considère comme tous les analystes que l'ultimatum (choisissez : ou c'est nous, ou c'est le PYD) était infantile.

Dans cette course à l'échalote kurde sur le dos des Turcs, Moscou a une longueur d'avance sur Washington. Alors que les Américains frisent la schizophrénie en considérant le PKK terroriste et en faisant les yeux doux à son jumeau PYD, les Russes sont plus cohérents : ni le PKK ni le PYD ne sont classés sur leur liste des mouvements terroristes. Les relations avec le PKK étant d'ailleurs traditionnellement bonnes, Poutine possède un beau joker sous le coude à l'heure de la guerre civile dans le Kurdistan turc.

Quant au pauvre Erdogan, son désarroi peut se mesurer à l'hystérie de ses réactions. Le voilà maintenant qui accuse sans rire les Etats-Unis d'avoir créé "une mare de sang" en s'alliant avec les Kurdes ! Les Américains ont certes créé beaucoup de mares de sang dans la région, mais pas celle-là... Dans le même temps, pour bien faire, l'ambassadeur US a été convoqué par le ministère turc des Affaires étrangères.

Rarement dans l'histoire, un pays aura perdu autant de crédibilité internationale et d'alliés que la Turquie actuelle. En quelques années, elle a réussi à se mettre à dos la Russie et presque tous ses voisins - la Syrie, l'Irak et l'Iran (avec lequel les relations commerciales pourtant prometteuses se sont arrêtées net, Téhéran se permettant de faire la leçon à Ankara : "Ne vous mettez pas dans le camp des loosers"). Les relations avec l'Occident n'ont jamais été si mauvaises et une suspicion durable s'est désormais installée.

Erdodo ne s'arrête d'ailleurs pas là et semble en vouloir au monde entier. Hier, c'est l'ONU qui a été l'objet de son ire : "Vous moquez-vous de nous ?" a-t-il demandé à l'organisation. On serait tenté de lui répondre : qui ne se moque pas de toi actuellement ?

Acculé, le voilà obligé d'avaler une énième couleuvre et implorer le rétablissement des relations avec l'Israël de Netanyahou ; vous savez, celui qu'il qualifiait d'"Hitler" il y a quelques années... Navigation à vue totale, politique au jour le jour, au gré de ses déconvenues. Maigre consolation pour le sultan : grâce aux réfugiés, il a pu faire chanter les Européens, véritables dindons du dindon de la farce.

Tag(s) : #Moyen-Orient, #Russie, #Etats-Unis

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