Ben Erdogan semble condamné à réparer chaque bourde antérieure par une aventure encore plus folle. C'est sans doute dans ce contexte qu'il faut voir son escapade nord-irakienne. L'incident du Sukhoi lui a semble-t-il définitivement fermé les portes de la Syrie et créé les conditions propices à l'émergence de ce qu'il craignait le plus : un Kurdistan autonome sous direction PYD le long de la frontière turque. Passant de Charybde en Scylla et jouant sa dernière carte, il se rabat sur l'Irak, surfant sur la profonde division du Kurdistan et les liens très lâches entre cette province et Bagdad.
L'idée finale est-elle de favoriser, après la chute du califat, la création d'un "sunnistan" sous égide turque ? Le sultan pense-t-il sérieusement que l'Iran et la Russie laisseront faire ? Il y a quelque chose de profondément suicidaire chez lui, qui se coupe tour à tour de ses seuls fournisseurs possibles en énergie (Russie, Irak, Iran).
En tout cas, sa folle équipée offre l'Irak sur un plateau à Poutine, à la grande rage des Américains, obligés de soutenir publiquement quoique à demi-mot leur encombrant allié otanien tout en désapprouvant en privé cette nouvelle frasque (est-ce un hasard si, pour la première fois, Washington a reconnu que le pétrole daéchique prenait la direction de la Turquie ?). Le Parlement irakien prévoit maintenant de revoir et peut-être d'annuler l'accord de sécurité entre l'Irak et les Etats-Unis. On devine aisément par qui les Américains seraient alors remplacés en Irak :
En attendant, c'est le statu quo. La Turquie semble quand même avoir pris conscience de cette nouvelle impasse et commence à mettre les petits plats dans les grands. Faut dire que de l'autre côté, ça rigole pas, Ankara recommandant même à ses ressortissants de quitter l'Irak !
En Syrie même, où la coopération franco-russe atteint d'ailleurs de nouveaux niveaux, Poutine a lancé un cinglant avertissement : "Toute menace envers les forces russes doit être immédiatement détruite". Le sultan sera obligé de raisonner ses F16 récalcitrants. Déjà qu'il est occupé à emprisonner des enfants qui arrachent ses affiches de campagne... (oui, oui, bonnes gens, c'est ce même Erdogan que l'UE courtise et à qui elle offre 3 milliards)
De Turquie en Ukraine, il n'y a qu'un pas - est-ce d'ailleurs un hasard si les dirigeants de ces deux républiques bananières s'entendent soudain très bien ? A Kiev, les députés de la Rada s'amusent comme des petits fous (le lancer de nain putschiste deviendra-t-il nouvelle discipline olympique ?) :
L'Italie a fait preuve d'audace en bloquant l'extension des sanctions européennes contre la Russie. On imagine les eurocrates et autres hommes de paille de Washington se précipiter sur les vols à destination de Rome pour "amicalement" convaincre nos amis transalpins de changer leur position. Le summum de l'hypocrisie a été atteint il y a quelques jours par le Département d'Etat US, critiquant presque dans la même minute les sanctions russes contre la Turquie et justifiant les sanctions occidentales contre la Russie.
Le FMI vient d'entrer à son tour dans la Guerre froide 2.0 en changeant les conditions d'attribution de son aide pour venir au secours des putschistes installés par la CIA à Kiev et leur permettre de ne pas rembourser leur dette à la Russie. Nous avions déjà vu à quel point les institutions financières internationales mises en place au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale visaient à assurer l'hégémonie du dollar. A défaut d'aider directement l'Ukraine (voir cette étonnante histoire de livraisons de matériel US périmé et inutilisable), l'empire continue d'utiliser tous les moyens à sa disposition, et notamment sa mainmise sur les institutions financières, pour mener sa guerre hybride contre Moscou.
On comprend dans ces conditions la croisade dédollarisatrice mondiale lancée par la Russie, la Chine et quelques autres. De la kyrielle de banques parallèles qui en sont nées - BAAI chinoise, Banque des BRICS, Fonds route de la Soie - une nouvelle pourrait bientôt être créée : un organisme financier propre à l'Organisation de Coopération de Shanghai !
Et puisque nous évoquons le monde multipolaire concurrent de l'Occident américanisé, un mot tout de même sur l'élection de Macri en Argentine. Candidat de la droite libérale, traditionnellement proche des Etats-Unis en Amérique latine, le nouveau président pourrait faire sortir son pays du grand mouvement dans lequel l'avait engagé les Kirchner (alliance avec la Russie et la Chine, future entrée dans les BRICS, dédollarisation...). Macri prétend vouloir maintenir des liens privilégiés avec Moscou. Wait and see...
Cela n'empêche certes pas la Russie de signer contrats sur contrats dans le domaine militaire (derniers en date : Mexique et Inde) ni la Chine de faire feu de tout bois. Pékin ouvre sa première base militaire en Afrique, continue sa course folle aux armements révolutionnaires et prévoit de lancer en collaboration étroite avec la Russie 100 satellites dont la finalité n'est pas tout à fait claire...