Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'on évoque souvent les multiples campagnes du Deep State pour saboter les efforts de Trump visant à ramener l'empire dans des limites plus modestes : pressions, chantage, harcèlement, campagnes médiatiques... Mais il est également intéressant de renverser l'angle de vue et de se pencher sur les piques, incessantes elles aussi, du Donald contre l'establishment impérial. Dès que ce dernier pense pouvoir dormir sur ses deux oreilles, le Donald allume un feu là où on ne l'attend pas, mettant une nouvelle fois les stratèges américains sur les nerfs.

Tout a été dit sur l'énième vrai-faux retrait des troupes de Syrie, décidé par la Maison Blanche et partiellement torpillé, mais à quel prix, par les tentacules de l'Etat profond. 800 soldats vont finalement rester, officiellement pour "garder le pétrole", en réalité pour peser sur l'arc chiite. Dans l'affaire, l'empire perd quand même tout le Nord d'un trait de plume et se décrédibilise durablement (était-ce le but de Trump ?) sur la scène internationale en affichant une image peu glorieuse confinant à la piraterie. Le trouble des représentants du Washingtonistan, complètement perdus, consolés de conserver quand même une présence militaire amoindrie en Syrie mais s'arrachant les cheveux devant les raisons données, est délicieux à voir :

A peine remis de ses émotions, le Deep State voit avec horreur la houppette blonde, apparemment infatigable, refaire des siennes sur un autre théâtre d'opération. Nous avons plusieurs fois expliqué l'importance de la case Nord-est dans le containment de l'Eurasie par la thalassocratie US, notamment en juin de l'année dernière :

Le Donald restera-t-il dans l'histoire comme le fossoyeur de l'empire américain ? Cette question que nous nous posons depuis son élection ressurgit après le sommet historique et surmédiatisé de Singapour entre Trump et Kim.

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants, jamais explicités dans la presse grand public ni dans la majorité des médias alternatifs, un petit rappel est nécessaire :

Nous sommes évidemment en plein Grand jeu, qui voit la tentative de containment du Heartland eurasien par la puissance maritime américaine. La crise coréenne ou les disputes territoriales autour des Spratleys, des Paracels ou des Senkaku/Dyaoshu ne concernent pas une quelconque volonté de mettre la main sur d'éventuelles ressources énergétiques ou routes stratégiques, ou alors seulement en deuxième instance. Il s'agit avant tout pour le Heartland, la Chine en l'occurrence, de briser l'encerclement US et de s'ouvrir des routes vers le Rimland et vers l'océan, exactement comme la Russie le fait sur la partie ouest de l'échiquier avec ses pipelines et ses alliances de revers.

La présence américaine en Extrême-Orient est l'héritage de l'immédiat après-guerre (tiens, tiens, justement la période des père fondateurs de la pensée stratégique états-unienne, MacKinder et Spykman). Japon (1945), Taïwan (1949), Corée (1950) : la boucle était bouclée et l'Eurasie cernée à l'est, comme elle l'était à l'ouest par l'OTAN, au Moyen-Orient par le CENTO et en Asie du sud et sud-est par l'OTASE. La guerre froide entre les deux Corées ou entre Pékin et Taïwan sont évidemment du pain béni pour Washington, prétexte au maintien des bases américaines dans la région.

Washington utilise habilement un conflit ancien et réel (crise coréenne : 1er niveau) pour placer ses pions sur l'échiquier (Grand jeu : 2nd niveau). Des batteries THAAD sur le territoire sud-coréen, surveillant officiellement la Corée du nord et officieusement la Chine, seraient évidemment un coup porté à la dissuasion nucléaire chinoise.

Ceux qui voyaient dans la dynastie des Kim des résistants à l'empire se mettaient le doigt dans l'oeil. Les multiples provocations nucléaires de Pyongyang ont toujours été du pain béni pour les Américains ; la pire chose qui puisse leur arriver serait la chute du régime et la disparition de la menace nord-coréenne, ce qui remettrait en question la présence militaire US au Japon et en Corée du Sud. A l'inverse, ce serait une bénédiction pour la Chine et la Russie car cela ôterait le prétexte dont use et abuse le système impérial afin de conserver ses bases dans la région. Kim III ou l'idiot utile de l'empire, nous l'avons expliqué à plusieurs reprises (ici, ici ou ici)...

A ce titre, ce qui vient de se passer à Singapour a dû faire se retourner dans leur tombe Mackinder, Spykman et Brzezinski. Le rapprochement inédit entre Pyongyang et Washington a poussé le Donald à annuler les futurs exercices militaires américano-sud-coréens, ce qui a mis en émoi non seulement Séoul mais le Pentagone lui-même.

Surtout, Trump a évoqué un possible rapatriement, graduel et à terme, des soldats américains présents au Pays du matin calme, en cas de dénucléarisation de la péninsule. Inutile de dire que cette décision serait très populaire dans l'opinion publique états-unienne qui, sur le dossier nord-coréen, soutient son président.

Or, tous ces développements - fin des kriegspiel, retrait militaire US - sont exactement ce que Pékin demande depuis des années. Les observateurs ne s'y trompent pas, qui voient dans ce sommet une grande victoire chinoise. On ne se frotte pas impunément à la patrie de Sun Tzu et des Trente-Six stratagèmes...

Le troisième - 借 刀 殺 人 (Assassiner avec une épée d'emprunt) - a de troublantes ressemblances avec notre affaire : faire travailler les autres, sans qu'ils en aient conscience, dans le sens de vos intérêts. Le Donald a-t-il été l'épée d'emprunt en question pour, une nouvelle fois, saper les intérêts de l'empire ? Ca y ressemble.

Bien sûr, nous n'en sommes qu'aux prémices et beaucoup d'eau peut encore couler sous les ponts. Nul doute que le Deep State fera tout pour torpiller le rapprochement, sèmera des obstacles sur le chemin de la négociation, tentera de circonvenir Trump pour qu'il revienne sur ses déclarations. L'Asie du Nord-est est une zone en devenir stratégique majeur et le Washingtonistan doit s'arracher les cheveux à la simple idée de voir les Etats-Unis s'en retirer.

Et il recommence. Jouant sur son image de businessman, Donaldinho vient de réclamer le quadruplement de la somme payée par le Japon pour le stationnement des troupes US et le quintuplement à la Corée du Sud ! Vu l'outrance de ces demandes, sans doute inacceptables pour Tokyo et Séoul, on voudrait trouver un prétexte pour en retirer les GI qu'on ne s'y prendrait pas autrement... On imagine les alarmes sonner frénétiquement dans la salle de contrôle impériale, réveillant les stratèges à peine remis de leurs émotions syriennes. Ce diable de président ne peut-il donc pas nous foutre la paix ?

Trump aura-t-il de la suite dans les idées ? Assistera-t-on à un désengagement militaire états-unien dans cette zone hautement stratégique ? Rien n'est moins sûr. Avant de passer de vie à trépas, le funeste McCain a laissé un dernier cadeau empoisonné. Affolé par le sommet de Singapour, il a, en tant que patron du Comité des forces armées au Sénat, fait voter une loi restreignant fortement la possibilité de réduire le nombre de soldats américains en Corée. Le Donald, qui avait alors été plus ou moins obligé de signer ce John S. McCain National Defense Authorization Act, codicille au vote du budget militaire, passera-t-il outre ? Le Deep State, une nouvelle fois sur la défensive, réussira-t-il à recoller les morceaux ? La suite au prochain épisode...

Tag(s) : #Etats-Unis, #Extrême-Orient

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :