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Propagaz

Quittons momentanément la Syrie, où les forces loyalistes continuent de gagner du terrain, pour nous pencher sur une (pas si) étonnante nouvelle. C'est le genre d'information qui passe totalement inaperçue du grand public et qui en dit très long sur les enjeux de notre époque. Mais au préalable, un petit rappel est nécessaire sur l'importance du gaz et du pétrole dans le Grand jeu :

Aussi important sinon plus que les ressources elles-mêmes, c’est leur acheminement par les gazoducs et oléoducs et le moyen d’influence qui en découle qui cristallise les tensions et les grandes manœuvres, ce que d’aucuns nomment la géopolitique des tubes. Complétant la pensée de Mackinder, un nouvel axiome est apparu : « Qui contrôle les sources et les routes d’approvisionnements énergétiques mondiales contrôle le monde. » C’est particulièrement vrai pour les Etats-Unis dont les stratèges sont conscients de l’inévitable déclin américain : le monde est devenu trop vaste, trop riche, trop multipolaire pour que les Etats-Unis puissent le contrôler comme ils l’ont fait au XXème siècle. Du Projet pour un nouveau siècle américain des néo-conservateurs au Grand échiquier de Brzezinski, une même question prévaut en filigrane : comment enrayer ce déclin, comment le retarder afin de conserver aux Etats-Unis une certaine primauté dans la marche du monde ? La réponse, qui n’est certes pas ouvertement explicitée, passe par le contrôle de l’approvisionnement énergétique de leurs concurrents. « Contrôle les ressources de ton rival et tu contrôles ton rival », Sun Tzu n’aurait pas dit autre chose. Et c’est toute la politique étrangère américaine, et subséquemment russe et chinoise, de ces vingt-cinq dernières années qui nous apparaît sous un jour nouveau.

Les pipelines jouent ainsi un rôle crucial, leur tracé étant la matérialisation sur le terrain des objectifs stratégiques de leur promoteur. Les tubes russes sont autant de flèches visant à percer le Rimland afin de gagner les marchés de consommation européen ou asiatique. Ceux promus par les Américains courent le long de ce même Rimland et tentent d’isoler la Russie tout en contrôlant l’approvisionnement énergétique de leurs « alliés », européens notamment, pour garder un levier de pression sur eux. L’équation est encore compliquée du fait de l’irruption chinoise ainsi que l’émergence d’autres acteurs : Turquie, Inde, Pakistan, Iran, Japon…

La bataille pour les sources et les routes énergétiques combinée à la domination du Heartland et du Rimland, sont les éléments constitutifs de ce nouveau Grand jeu qui définira les rapports de force mondiaux pour les siècles à venir.

A cet égard, nous avons déjà expliqué que :

Le Grand jeu énergético-eurasien, ou Guerre froide 2.0, ne se déroule pas uniquement sur la scène stratégique, diplomatique ou militaire : la guerre de l'information y a toute sa part [notamment] la désinformation économique. Cela peut surprendre de prime abord mais il n'y a en fait rien d'étonnant à cela : les décideurs économiques sont au moins aussi importants que les opinions publiques ; les influencer pour qu'ils prennent des décisions favorables aux intérêts de tel ou tel relève de la logique la plus élémentaire. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'énergie... L'offensive américaine contre les hydrocarbures russes se matérialise autant dans les salles de rédaction que sur le terrain. C'est une désinformation policée, intelligente, mêlant habilement le vrai au faux dans des journaux qui n'ont rien de tabloïds.

Le secteur énergétique, terriblement stratégique, est sans doute celui où la désinformation atteint des sommets. Nous sommes en présence d'une intense propagande énergétique pilotée depuis certaines officines de l'empire qui, avec à un lobbying certain, vise à convaincre les vassaux récalcitrants de la viabilité de projets favorables aux desseins stratégiques américains. Les vassaux n'y croient sans doute pas mais font semblant, c'est leur rôle... Les Européens sont médaille d'or dans cette discipline.

Du gaz azerbaïdjanais à peu près inexistant à l'inénarrable TAPI censé traverser comme une fleur le chaos afghan, en passant par l'amusant et mélomane Nabucco (enterré depuis), on ne compte plus les cas de propagande énergétique visant à torpiller les projets russes ou iraniens.

Nous en arrivons maintenant à notre intéressante nouvelle...

Début février, on pouvait lire qu'une compagnie US, Frontera, avait découvert d'extraordinaires réserves de gaz en Géorgie. Le pays chouchou de l'OTAN allait devenir totalement indépendant et même, d'ici trois à cinq ans, exporter son or bleu vers la Turquie et l'Europe ! Ouf, nous sommes sauvés, le camp du Bien se défera de l'emprise énergétique du grand méchant ours russe. Alléliua !

Sauf que...

Le ministre géorgien de l'énergie lui-même balaie cette farce d'un revers de la main, passablement énervé qu'il est devant les duperies répétées de la firme en question. Les "découvertes sensationnelles" de Frontera sont du vent en boîte, la compagnie américaine n'en étant pas à son coup d'essai. Bien sûr, il y a des causes immédiates à ces pipeaux répétés (spéculations boursières etc.) Mais derrière ces pitoyables menées apparaissent évidemment en filigrane notre bonne vieille désinformation énergétique et la volonté de containment gazier de la Russie.

Tag(s) : #Gaz, #Etats-Unis, #Europe, #Russie, #Caucase

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